Une histoire du nom Daniel, de l’Orient à la Bretagne, Ve-VIe siècles                        par Philippe Daniel   contact

le nom Daniel et les noms bibliques dans l’île de Bretagne, en Armorique et dans le pays de Redon                                     mise en ligne 02-01-2008  –  mise à jour 19-09-2019                          

 

 

I – Le nom en France

II – Le nom en Grande-Bretagne

III – Une origine orientale

IV – Le nom au pays de Galles

V – Le nom en Armorique

VI – Résumé de synthèse

VII – Critiques

VIII – Autres hypothèses

 

 

 

Présentation

 

Cette monographie est celle d’un amateur qui se saisit en toute liberté d’un sujet sans autre contrainte que celle des sources. Elle est née de l’intuition que la répartition des patronymes n’est pas que le fruit du hasard et peut être en partie décryptée, même dans le temps long. La méthode utilisée n’a suivi aucun modèle. Elle a consisté à développer des éléments puisés chez Charles Thomas, Christian Y.M. Kerboul, Albert Deshayes, Sabine Baring-Gould…, à créer de toutes pièces des cartographies à partir de bases de données jusque-là non exploitées à cette fin, constituant un matériau nouveau devant permettre d’aborder la question des noms bibliques sous un autre angle et de proposer des analyses originales. Elle laisse aussi une large part aux interprétations personnelles vues a priori comme la plus-value de toute recherche.

Mais si s’aventurer en électron libre sur un chemin lointain, obscur, rarement voire jamais exploré, dans une tentative peut-être illusoire de repousser les limites imposées par la rareté des sources est une prise de risque qui peut être féconde [1a] elle comporte est aussi sa part de faiblesse. Certains raisonnements pourront surprendre l’universitaire attaché aux questions de méthode et exigeant pour chaque point une assise solide. Des arguments pourront lui sembler douteux, des interprétations erronées et des superpositions d’hypothèses fragiles…

Aussi cette étude a-t-elle été critiquée par quelques spécialistes depuis sa mise en ligne – la dernière partie discute les points de désaccord, la conclusion présente une thèse toute différente – et doit être reçue comme une hypothèse parmi d’autres qui pourrait n’expliquer que très partiellement la façon dont le nom Daniel en particulier s’est répandu en Bretagne.

 

 

 

 

I – Le nom en France

 

 

Au vu de leur répartition, l'origine bretonne du patronyme Daniel et de ses principales variantes apparaît clairement [1] :


           

             DANIEL 6478                                         DANIC 94                                               DANIELO 107                                        DANILET 18                                           DANIOUX 28

           

             DANILO 231                                           DANION 291                                          DANO 624                                              DANIGO 136                                          DENIARD 33

           

               DENIAUD 697                                        DENIE 105                                             DENION 105                                          DENIEULLE 35                                      DENOUAL 632

           

             DANIAUX 65                                            DENIEUL 297                                          DANIOU 42                                             DANIELOU 430                                       DENIEL 934

           

             DENNIEL 135                                          DENNIELOU 24                                      DANIELE 162                                          DANIELLI 18                                            DANIELI 65

 

 

Plusieurs cartes laissent à penser que le berceau du nom est situé dans le sud de la Bretagne mais cette prépondérance est récente. De 1891 à 1940, on compte davantage de Daniel par habitant dans les Côtes-d'Armor que dans le Morbihan et c’est sans doute le cas depuis longtemps comme invite à le penser la répartition des toponymes. La tendance s'inverse ensuite à cause d’une baisse des naissances plus rapide que celle de la population [2] dans les Côtes-d'Armor qui fait que le nom y apparaît en plus faible proportion sur les cartes, mais c’est davantage au nord qu’il faut chercher un berceau régional.

 

On trouve en Bretagne d’autres variantes faiblement représentées : Dannic, Dannielou, Daniello, Denigo… dont certaines sont en voie de disparition : Danniellou, Denielou, Danniel, Danou, Danniou, Danio, Denio, Danigou

Dany, très présent à la Réunion, un peu en Guadeloupe mais aussi dans le Morbihan, est sûrement dû à la présence des Bretons dans les colonies au XVIIe siècle.

L’origine de plusieurs formes reste assez incertaine. Danaire et Danais pourraient venir du breton tan, feu. Même prudence avec Dano, Danno et Dannot qui, du moins dans la toponymie, ont pour racine le breton tann, du gaulois tanno, chêne.[3] Si Dano viendrait bien de Daniel selon A.Deshayes,[4] les Danet, Danot et Danon seraient des diminutifs de Jourdan d’après A.Dauzat,[5] ce qui paraît surprenant puisqu’on ne les rencontre pas dans les mêmes régions.

Denoual et Denouel seraient issus du vieil irlandais domun (monde), domain, (profond) [6] mais Denoual pourrait être la forme armoricaine de Deiniol, elle-même forme galloise de Daniel.

Dané et Daney, concentrés en Aquitaine, viendraient de Danois qui désignaient les Scandinaves au Moyen Âge. Selon Dauzat, Dan, Danel et Daneau seraient tirés de dain, mais la forte présence des Dan dans le Calvados évoque aussi une origine scandinave, tout comme les Danin, Dannet, Dannon, Danican, Dano et Danet très présents en Normandie. Danard, présent dans les lieux fréquentés par les Vikings (Normandie, Haute-Bretagne, basse Loire), pourrait être à ranger dans la même catégorie. Enfin, Denie et Danias, bien représentés en Haute Bretagne, restent d’origine douteuse.

 

Les contre-exemples de variantes majoritaires dans d’autres régions ne remettent pas en cause ce premier constat :

Daniau, Danieau, Daniot, Daniaud, Daniault (Vendée), Danniel (Eure-et-Loir), Deniau (Loir-et-Cher), Daniellot (Marne, totalement absent de Bretagne), Daniaud (Charente-Maritime), Daniault (Deux-Sèvres), Danel, Danneau, Daneau, Danneaux, Denielle (Nord, Pas-de-Calais, désigne celui qui vient de Nielles : Nielles-les-Ardres, Nielles-les-Bléquin, Nielles-les-Calais), Dannoux (Yonne, désigne celui qui vient d'Annoux), Danielis (sud-ouest), Daniels, Danels, Daneel, Daenen, Daene, Daenekint, Daeninck, Daeninckx, Danneels (Belgique et Flandres), Danis (nord et sud).

 

Si la plupart des variantes restent contenues dans les frontières bretonnes on ne distingue pas d’origine plus précise dans la région où chaque forme se localise en fonction des dialectes, patois, et de la façon dont les curés puis les officiers de mairie comprennent, et donc orthographient, les noms qu’on leur donne.

 

 

 

II – Le nom en Grande-Bretagne 

 

 

Une carte de leur répartition en Grande-Bretagne offre en revanche une mise en perspective et montre une proximité frappante avec le sud du pays de Galles.

copyright Articque

le patronyme Daniel en France et Grande-Bretagne

 

17.562 occurrences du recensement britannique de 1881 et 6.229 naissances en France de 1891 à 1915 en % de la population par comté et département [7]

 

 

Cette concentration au pays de Galles peut faire évoquer les relations historiques étroites entre les deux rives de la Manche et même s’interroger sur un possible lien avec les migrations des Britons vers l’Armorique durant le haut Moyen Âge, pour l’essentiel du IVe au VIIe siècle.

Le Carmarthenshire est le comté où ils sont le plus présents en proportion, surtout entre Carmarthen et Swansea. Cette implantation paraît ancienne car, dans le recensement britannique de 1881, sur les 573 Daniel du comté, 532 y sont nés (93%). Sur les 498 dont on connaît le lieu de naissance, plus de la moitié sont issus de sept communes, toutes situées entre Carmarthen et Llanelli sur une étendue très réduite de 23 km.[8] Plus à l'ouest, dans le Pembrokeshire, on les trouve concentrés entre Fishguard et Cardigan, puis dans le Cardiganshire autour d'Aberystwyth. Dans le Cornwall, ils sont surtout présents à l'extrême sud-ouest, autour de Penzance. On ne rencontre nulle part la forme archaïque Deiniol, ni même Deniol, et un seul Deniel. En revanche, les Daniel sont présents sur tout le territoire, quoiqu’en proportion faible (0,06%).

La plus forte présence de ce nom biblique au sud du pays peut difficilement s’expliquer par exemple par la répartition des établissements religieux. Sur les 43 monastères gallois du haut Moyen Âge, 18 sont au nord, 9 au centre et 16 au sud. En revanche les cinq monastères des Ve et VIe siècles sont tous au sud, et en particulier celui de Cor Tewdws [9] à Llanilltud, le plus vieux et le plus prestigieux, parfois appelé « la plus vieille université du monde », refondé par saint Ildut (†522).

 

 

pays de Galles, Cornwall et Devon

villes et comtés

 

Saint Deiniol (†584), évêque de Bangor

 

La forte présence de ce nom au pays de Galles est à rapprocher de saint Deiniol, fondateur vers 525 du monastère Bangor Fawr dans le Caernarvonshire (actuel Gwynedd) et qui devient cathédrale quand il en est consacré évêque vers 545, possiblement par saint David.[10] Deiniol est le premier personnage de Bretagne insulaire dont on ait trace à porter ce nom. Il a passé la plus grande partie de sa vie dans le nord-ouest du pays mais était originaire de Démétie au sud-ouest (actuel Dyfed).[11]

Son épiscopat a marqué la toponymie du nord et de l’ouest du pays. Les noms de lieux comprenant les racines dan et dein sont principalement situés le long de la côte ouest. Du nord au sud, nous trouvons Llanddaniel Fab dans l’île d’Anglesey, Llanddeiniolen et Deiniolen au sud de Bangor, Caerddaniel près de Harlech, Llanddeiniol dans le Cardiganshire, Llandenny au nord de Newport dans le Gwent. A l’extrémité sud-ouest, dans le Pembrokeshire, se trouve une église Saint Daniels à Pembroke Dock et, davantage dans les terres, Dandderwen. Autour de Carmarthen, Danygraig à l’ouest, Dan-y-banc et Dan-y-quarry au sud-est, Doleiddan à l’est. 

Dans le Morbihan, le village de Bangor à Belle-Île-en-Mer pourrait être une évocation du monastère Bangor Fawr, [11b] mais peut-être aussi de l'abbaye irlandaise de Bangor fondée en 558 près de Belfast d'où des moines comme saint Colomban (†616) sont partis pour évangéliser l'Armorique. 

Bien que Deiniol soit enterré dans l’île de Bardsey, à la pointe de la péninsule de Llŷn dans le Gwynedd, Baring-Gould avance « qu'il ait été un temps en Bretagne est probable, car il y est vénéré sous le nom de S. Denoual, dans une église portant ce nom près de Matignon dans les Côtes du Nord, et à Planguenoual dans le même département, près de Pléneuf ; également à La Harmoye où Gildas a un établissement. (…) Ploudaniel, dans le Finistère, ne lui doit apparemment pas son nom, mais à un colon britannique laïque du même nom. Il a probablement traversé en 547, fuyant la peste jaune. » [12]

 

 

Daniel Drem Rud (†516), comte de Cornouaille armoricaine 

 

Le nom Daniel était également présent en Armorique plus tôt encore, au tout début du VIe siècle, puisque la plus ancienne généalogie des comtes de Cornouaille conservée à Landévennec mentionne un Daniel Drem Rud (Daniel au visage rouge), père et prédécesseur du roi Budic jusqu'au règne de ce dernier (516-556).[13] 

Toutefois, le fait qu’on trouve ce nom de notre côté de la Manche avant la fondation de l’abbaye de Bangor par Deiniol ne veut pas dire qu’il est apparu d'abord en Armorique. A la fin du Ve siècle, un royaume est fondé en Cornouaille sous le parrainage de celui de Carmarthen, les deux ayant ensuite des relations suivies avec un va-et-vient constant jusqu'aux ravages vikings du IXe siècle.

Ainsi Budic, roi de Cornouaille en 516, successeur de Daniel Drem Rud, menacé par son frère Maxentius (Maxenti, Maxen) qui convoite le trône, se réfugie à Carmarthen, et Aircol (Agricola) de Démétie envoie sa flotte et ses hommes en Armorique pour le rétablir dans ses droits. Selon les généalogies galloises, Budic épouse même une fille de Teithfallt ap Nynniaw, roi de Gwent, avec laquelle il a son fils Theuderic qui aurait lui-même épousé Enhinti, fille de Urien de Rheged, puissant roi du Rheged au nord de l'île, et hérité du trône de son grand-père gallois vers 550.[14]

En 575, quand Macliau, fils de Waroc Ier, veut imposer son fils Jacut (Jacob) comme roi de Cornouaille contre le fils de Budic, Theuderic (Teudiric, Tewdrig ou Thierry), prétendant légitime, ce dernier trouve également refuge à Carmarthen chez ses oncles et cousins. Son beau-père, Urien, roi du Rheged au nord de l'île, et Voteporix, roi de Démétie, envoient alors armées et navires en baie de Quiberon en 577 pour une bataille au cours de laquelle Macliau et Jacut sont tués. Theuderic, petit-fils de Daniel, peut retourner en Armorique et s'installer vers Plogastel où il devient, enfin mais brièvement, roi dans l'ouest d'une Cornouaille désormais partagée avec son ennemi Waroc II, fils de Macliau. Mouric, fils de Theuderic, retourne lui au sud du pays de Galles où il règne suite à sa victoire de 584 contre le Saxon Ceawlin, et où son fils, Morcant, lui succède aussitôt et donne son nom au royaume : le Glamorgan (gallois Morgannwg).[15]

 

                                                                       Gradlon Meur
                                                                                 |
            Waroc Ier (†550)                                     Daniel Drem Rud (†516)
            |                     |                                            |
    Macliau (†577)     Budic (†556)                        Maxentius
            |                     |                                            |
    Waroc II (†594)   Jacut (†577)                          Theuderic
            |                                                                   | 
    Canao II                                                          Mouric (†584)
            |
    Morcant

 

Daniel Drem Rud est aussi donné pour avoir été roi des Albani, les habitants d'Albion, ce qui l'aurait fait régner sur les deux rives de la Manche.[16] Ce comte est donc lié au royaume de Carmarthen s’il ne l’a pas dirigé lui-même. La Vie de Saint Méloir, rédigée au XIIe siècle, mentionne que la Cornouaille armoricaine est fondée vers 500 par le chef insulaire Gradlon Meur, appelé Lex ou Regula, qui arrive avec une grande flotte dans ce territoire déserté, le met en culture, et que ses descendants, Daniel puis Budic, lui succèdent.,[17] Selon ce document, Daniel est né en Bretagne insulaire car il a nécessairement plus de 16 ans quand son règne s'achève en Armorique en 516.

 

Daniel Drem Rud et saint Deiniol ont des profils similaires : ils vivent à la même époque et sont issus de et liés à la région de Carmarthen. Leur nom leur est donné à la fin du Ve siècle et est selon toute vraisemblance emprunté au même personnage.

Le nom Daniel semble d’autre part revêtir une importance particulière dans la culture brittonique. Dans son Historia Brittonum, compilation de divers textes anciens réalisée au début du IXe siècle, le moine Nennius décrit ainsi les « Âges du monde » : « le 1er âge du monde va d'Adam à Noé ; le 2e de Noé à Abraham, le 3e d'Abraham à David, le 4e de David à Daniel, le 5e de Daniel à Jean-Baptiste. Le 6e de Jean au Jugement où Notre Seigneur Jésus Christ viendra juger les vivants et les morts et le monde par le feu»

Le moine Gildas (565) le mentionne une fois dans De Excidio Britanniae rédigé vers 530-540, mais pour comparer la situation de l'île avec celle d'un pays évoqué dans le livre d'Ézéchiel (14,12) et fait alors référence au prophète : « La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : Fils d’homme, si un pays péchait contre moi par infidélité et si j’étendais la main contre lui en lui supprimant le pain qui fortifie et en lui dépêchant la famine exterminatrice des bêtes et des gens, y eût-il en ce pays Noé, Daniel et Job, ils ne sauveraient qu’eux-mêmes par leur justice. »

 

 

 

III – Une origine orientale

 

 

Le prophète Daniel

 

Le nom renvoie naturellement à son tout premier porteur, qui est aussi le plus célèbre, l’un des quatre grands prophètes de l’Ancien Testament. Exilé à Babylone (587-538 av. JC, dans l’actuel Irak), il avait le don d'interpréter les rêves et aurait fait admettre à Nabuchodonosor la suprématie de Iahvé. Il fut jeté à deux reprises aux lions, mais ceux-ci s'éloignèrent de lui ce qui fut considéré comme un signe de Dieu. Le nom vient de l'hébreu daniyy'el (Dieu est juge) ; son livre a été écrit par un anonyme vers 168 av. JC.

 

 

Daniel le Stylite († 489 ou 493)

 

Mais saint Deiniol et Daniel Drem Rud auraient plus probablement été nommés d’après une personnalité beaucoup plus proche d’eux dans le temps : saint Daniel le Stylite, moine solitaire du Ve siècle.[18]

Né en 409 à Maratha, en Anatolie (près de Samsat au sud-est de la Turquie), il a cinq ans quand ses parents le font consacrer dans un monastère. L’archimandrite décide que l’enfant doit porter le nom que Dieu révélera et lui demande de choisir un livre parmi différents ouvrages à la disposition des frères. L’enfant prend au hasard le Livre de Daniel et est nommé ainsi.[19] Installé près de Constantinople en 451, il devient fanatique et décide en 461, à l’image de son maître saint Siméon (†459), de vivre reclus en haut d’une colonne d’une douzaine de mètres d’où son nom de Stylite.[20] Il devient populaire en accomplissant des miracles, en guérissant des malades, en donnant des conseils aux grands de son époque dont l’empereur Zénon qui viennent le consulter. Il meurt à Constantinople autour de 490 après avoir passé une trentaine d’années sur sa colonne.[21]

Selon toute vraisemblance, et comme ce fut le cas pour saint Siméon, Daniel le Stylite a connu un accès de célébrité au moment de sa mort et, de ce fait, son nom a été popularisé dans les dernières années du Ve siècle. La proximité entre sa disparition autour de 490 et l’activité de saint Deiniol et Daniel Drem Rud au début du VIe siècle laisse supposer que les deux Britons lui ont emprunté son nom devenu à la mode.

 

Se posent alors deux questions :

– quand et comment le nom hébreu Daniel et d’autres noms bibliques est-il arrivé d’Asie Mineure jusqu’au pays de Galles ?

– quand et comment est-il arrivé jusqu’au pays de Redon où il est mentionné dans les textes à partir du IXe siècle ?

 

 

 

IV L’introduction du nom au pays de Galles

 

 

Les noms bibliques

 

Le recensement britannique de 1881 montre que de nombreux noms tirés de la Bible sont particulièrement concentrés au pays de Galles : David, Joseph, Joshua, les quatre grands prophètes Daniel, Esau, Zacharie et Jeremy… Même constat dans le Cornwall, le Devon et les autres comtés brittoniques du sud-ouest où se trouvent en forte proportion des Mark, Luke, Paul, Eve, Isaac, Jacob et surtout des Job.[22] Sur 41 noms bibliques présents au Royaume-Uni, 38 le sont aussi dans ces régions, et pour 13 d’entre eux la proportion y est supérieure à 20% du pays. Certains sont également très bien représentés en Bretagne comme Marc, Paul, Jacob, David, Isaac, Abraham, Joseph…

 

Une telle concentration d’anthroponymes du même type dans un même lieu évoque un contact direct, donc maritime, avec les Lieux saints du christianisme (Palestine, Asie Mineure, Égypte…), plutôt que par les autres voies de diffusion des idées, les grands axes de communication reliant les villes, et s’agissant de l’île de Bretagne via la Gaule et la Tamise. L’introduction de ces noms pourrait être le résultat des pèlerinages au proche Orient qui naissent suite à la dédicace de la basilique du Saint-Sépulcre en 335 et se développent massivement au Ve siècle parallèlement au mouvement monastique. Impulsé par la visite dans l'île de Victrice, évêque de Rouen, vers 396 puis celles de saint Germain d'Auxerre en 429 et 447, le monachisme est une recherche de pureté en réaction contre les conversions de masse des IIe et IIIe siècles et la corruption du clergé.[23] Jean Chrysostome, archevêque de Constantinople (†407), encourage ces voyages, même dans les lieux « sans vie où les saints ont vécu. » « Les espoirs d’un contact divin en Terre Sainte devinrent si grands que certains pères de d'Église commencèrent à insister sur le fait que les pèlerinages n'étaient pas nécessaires pour la sainteté ou qu'ils ne répondaient pas aux prières. » [24] Grégoire de Nazianze, évêque de Constantinople (†390), met ainsi en garde les chrétiens contre ces périples dangereux, en vain. En 411, les moines pèlerins sont déjà nombreux en Bretagne.[25] Les pèlerinages sur les terres d’origine du christianisme sont une suite logique à ce repli sur la foi et à cette recherche de pureté religieuse.

 

La concentration importante de ces noms au pays de Galles laisse aussi supposer que les Britons étaient déjà regroupés dans l’ouest de l’île au moment de leur introduction et que les pèlerinages étaient suffisamment nombreux pour les populariser au point que certains perdurent de nos jours. La période qui correspond le mieux à cette situation est le Ve siècle dans toute sa durée. Suite au départ des Romains en 383, 407 et 411, ils sont en effet progressivement poussés vers l’ouest par l’arrivée des Saxons jusqu’à y être essentiellement rassemblés à la fin du siècle.

 

 

Le commerce de l'étain

 

L’archéologie apporte aussi des preuves de contacts entre le sud-ouest de la grande Bretagne et des cités méditerranéennes. Au nord du Cornwall, dans le Devon, à Dinas Powys près de Cardiff, autour du canal de Bristol, à South Cadbury (Somerset) et dans quelques ports d’Irlande et d’Écosse, ont été découvertes de grandes quantités d’amphores des années 450-530, rencontrées ailleurs uniquement en Méditerranée orientale (Carthage, Tunisie, Libye, vallée du Nil, Tel-Aviv, Haifa, Chypre, Izmir, Éphèse, Athènes…). Ces récipients à vin et à huile prouvent l’existence d’un commerce avec le proche Orient dans lequel les Britons pouvaient fournir étain, plomb, cuivre, zinc, fer, vêtements de laine, chiens de chasse et esclaves.

Les fouilles entreprises à Tintagel dans les années 1930 par Ralegh Radford ont établi l’existence d'un comptoir marchand des Ve-VIe siècles. Lors de nouvelles fouilles en 1998, Chris Morris, de l’université de Glasgow, a trouvé dans ce seul lieu davantage d’amphores méditerranéennes de cette période que sur tous les autres sites archéologiques britanniques et irlandais réunis ce qui démontre l’importance du trafic.[26]

 

Au début du VIIe siècle encore, le récit de la vie du Chypriote John the Almsgiver mentionne l’arrivée sur l’île d’un navire égyptien venu échanger sa cargaison de blé contre de la monnaie et de l’étain. L'étain, absent du bassin méditerranéen, est depuis la préhistoire un métal rare plus convoité que l'or. Associé au cuivre il forme le bronze, un métal dur, parfait pour fabriquer des armes dont l'efficacité est très supérieure à celles en silex. Il est resté en usage jusqu’au Moyen Âge. La route principale de l’étain est maritime, terrestre et fluviale (via la Loire et le Rhône) depuis 600 av. JC au moment où ce commerce commence à céder la place à celui du fer, mais une route maritime était encore pratiquée aux VIe et VIIe siècles et on imagine mal pour quoi d’autre que l’étain les navires chargés des amphores découvertes venaient à Tintagel et dans les autres ports de brittoniques.

 

 

 

répartition de deux types d’amphores datant de 450-530 [27]

 

 

Les récipients antiques se rencontrent en Bretagne insulaire presque uniquement au sud-ouest, en zone brittonique. Ils sont absents des littoraux atlantiques de la Gaule ce qui laisse supposer l’usage d’une route directe depuis la Méditerranée, sans escale en Armorique à cette époque. Les commerçants de Gaule atlantique ne prendront le relais de ce commerce qu'au début du VIIIe siècle. 

Il faut peut-être voir dans l’absence du nom en Gaule le fait que Gallo-Romains et Francs faisaient peu de pèlerinages en Orient au Ve siècle au moment où il y était populaire. Faut-il supposer qu’ils n'en faisaient pas davantage avant la fixation des noms qui commence au XIe siècle pour expliquer la rareté des noms bibliques le long du Rhône et de la Loire, axes privilégiés de déplacement ? On s’attend aussi à ce qu’ils soient mieux représentés à Marseille, port d’embarquement évident pour des pèlerins souhaitant se rendre en Orient, comme il le sera pour les croisés des XIe-XIIIe siècles, or à part Paul, Pacôme, Raphaël et Jourdan on n’y trouve très peu de noms de ce type. 

Il existe pourtant à la fois de l’étain et des traces de contacts avec l’Orient dans l’Armorique du VIe siècle, en particulier une pièce de bronze frappée à Carthage en 585 retrouvée dans la mine d’étain d’Abbaretz (50 km au nord de Nantes) et qui prouverait « qu’au début de la période mérovingienne au moins, le monde méditerranéen continuait de s’approvisionner en étain dans nos régions. » [28] C’est sans doute la même découverte qui fait dire à Noël-Yves Tonnerre qu’en Armorique « l’étain avait joué un rôle important dans les échanges du VIe. » [29] Pourtant selon la commune d’Abbaretz elle-même, si cette mine a bien été exploitée dès 1200 av. JC et à été « l’une des sources d’étain les plus importantes du monde antique, rien ne prouve une quelconque activité » entre le IIIe et le XXe siècle.[30]

Cette pièce de monnaie du VIe est un mince indice de lien avec l’Orient comparée aux quelque 900 morceaux d’amphores retrouvés sur le seul site de Tintagel qui a été bien davantage fréquenté par les navires orientaux sans doute parce qu’en plus d’être les plus anciennes (exploitées depuis 1700 av. JC), les mines du Cornwall étaient les plus grandes connues et qu’on y trouvait aussi du cuivre et du plomb. Bien après l’Antiquité, le Cornwall fournissait encore la plus grande partie de l'étain exporté dans le monde et a continué de le faire jusqu’aux années 1870. Une des routes de l’étain traversant l’Armorique entre le Cornwall et la Loire (avant de rejoindre le Rhône), cette pièce de 585 a pu donné en route par un quelconque intermédiaire breton, gaulois ou franc aussi bien que par un Oriental. L’Armorique avait certes cinq mines d’étain et quatre de plomb argentifère mais les capacités de production étaient inférieures et la province ne possédait pas de cuivre. D’autre part, aucune de ces mines n’était à proximité immédiate de la mer – hormis celle d’étain à Piriac, près de Guérande – et n’offrait donc les mêmes facilités d’enlèvement que celles du Cornwall.

Un autre indice souvent évoqué de lien entre Armorique et Méditerranée est le culte des Sept Saints Dormant d’Ephèse dans la commune costarmoricaine du Vieux-Marché, qui fait aussi l’objet d’un pèlerinage. L’origine de ce culte n’est pas daté mais l’orientaliste Louis Massignon a vu une similitude entre les paroles de la gwerz – chanson bretonne – chantée pendant le pardon et un des passages du Coran, auquel cas cette pratique doit est assez largement postérieure à la période qui nous occupe.[31]

 

 

Le rôle des pèlerins

 

Selon l’historien et archéologue Charles Thomas, « à partir du 4e siècle, ces pèlerins ont voyagé en payant leur trajet (…) sur n'importe quel navire commercial prenant du fret humain à ses risques et périls. (…) d'autres choses peuvent voyager avec eux : de petits objets d'art, des souvenirs, des livres et des écrits, et surtout de nouvelles idées. Certaines notions nouvelles en religion et en art, peu susceptibles d’être des legs de la Bretagne romaine, ont pu être introduites de cette manière. Leur importance peut être surestimée, mais le contact transmarin semble véritable. » [32] Un apport oriental direct lui paraît même possible beaucoup plus au nord. Ainsi, commentant les découvertes faites sur l’île Ardwall, au sud-ouest de l’Ecosse au bord de la mer d’Irlande, il signale « la possibilité que certains types de sanctuaires britanniques primitifs et leur environnement immédiat dérivent directement de la région méditerranéenne sans l’intermédiaire de l’Église en Gaule. » [33] C’est par ce moyen qu’il envisage l’introduction dans l’île de petites croix chrétiennes à initiales rencontrées en grand nombre vers 400 sur des sites commémoratifs méditerranéens.

Les liaisons maritimes commerciales entre la Bretagne insulaire et l’Orient ont ainsi dû permettre à des pèlerins d’aller visiter les Lieux saints, Jérusalem, Rome, l’Asie Mineure… par une voie plus sûre et plus rapide que la terre, se plonger aux sources de leur foi et rencontrer les moines célèbres, modèles de pureté évangélique, comme saint Antoine, saint Siméon, saint Daniel, saint Jérôme… A leur retour, ils ont pu introduire des idées mais aussi des mots et des noms, notamment ceux de personnages bibliques ou chrétiens à la mode dans les lieux visités.

S’il est possible que ces pèlerins se soient rendus à Constantinople, lieu de décès de Daniel le Stylite et principale ville de pèlerinage avec Rome et Jérusalem, il est probable qu’ils soient aussi allés à Éphèse où la Vierge Marie a fini ses jours, en compagnie de l’apôtre Jean qui y a écrit son évangile et y est mort en 101. La présence de ces deux personnages a suffi pour en faire un lieu important de pèlerinage. L’apôtre Paul (†65) y fut également actif pendant plus de trois ans. Éphèse apparaît aussi dans le Nouveau Testament comme l'une des sept villes citées dans l’Apocalypse. C’est un port important ouvert sur la Mer Égée.

 

Dans le cas où ces pèlerins ont introduit le nom Daniel dans l’île de Bretagne, il semble vraisemblable qu’ils l’aient fait entre le moment du décès de Daniel le Stylite à Constantinople vers 490 et celui où le nom est relevé pour la première fois en Bretagne en 516. Une introduction juste après la disparition du saint paraît plus plausible que dans la première décennie du VIe siècle car la popularité d’une célébrité est plus grande immédiatement après son décès. L'hypothèse qui paraît la plus probable est un décès du Stylite en 489, une introduction du nom en Bretagne vers 490 et une naissance de Daniel Drem Rud la même année ce qui lui fait terminer son règne en 516 à l'âge de 27 ans. Si l'introduction du nom et le baptême du comte de Cornouaille avaient eu lieu en 500 ce dernier aurait fini son règne à seulement 16 ans ce qui paraît douteux.

 

Les mêmes types de poteries ont également été trouvés près de Nice et Marseille où on rencontre les formes Danielli, Danieli et Daniele. Cette dernière est également très présente dans le Piémont au nord de l'Italie. Le plus ancien porteur connu du nom en Occident étant Daniel de Padoue (†168) en Vénétie, au nord-est, où les formes Daniel et Danieli sont encore concentrées de nos jours, peut-être le nom a-t-il été introduit dans le sud-est de la France actuelle dès le IIe siècle, donc sans l'intervention de Bretons. Sa concentration en Vénétie reste cependant très inférieure à celle rencontrée dans le Carmarthenshire (0,04% de la population contre 0,46%).[34]

 

 

 

V L’introduction du nom en Armorique

 

 

L’hypothèse d’une introduction du nom Daniel au pays de Galles à la fin du Ve siècle et l’étroitesse des liens commerciaux entre Méditerranée et Cornwall aux Ve et VIe conduisent donc à penser qu'il serait arrivé en Armorique depuis la Bretagne insulaire. Tentons d’esquisser son possible trajet jusqu'au pays de Redon et de définir l’époque de ce déplacement.

 

 

La répartition du nom dans l'Ouest

 

La répartition actuelle des Daniel et des toponymes afférents semble laisser deviner les parcours empruntés et certains points de chute : entre Lannion et Saint-Brieuc au nord, dans la Baie d’Audierne en Cornouaille, près de Lorient et de Vannes au sud. On trouve logiquement une plus forte concentration de toponymes au plus près du point de départ.

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le patronyme Daniel dans le grand Ouest

 

174 toponymes l et 4.671 occurrences du nom et ses variantes en % de la population sur 1.031 communes de 9 départements

toponymes de l'IGN et occurrences de l'annuaire téléphonique de 1997 [35]

 

 

 

Certains toponymes situés à l’intérieur des terres signalent qu’à l’époque de l’arrivée de porteurs du nom plusieurs parties littorales ne sont déjà plus disponibles. Les premières migrations massives de Bretons avaient commencé dès 383, et les colons – près de 150.000 du IVe au VIe siècle dont les 2/3 au seul VIe [36] – viennent s’ajouter à la population gauloise indigène.

 

 

Les routes de l'émigration

 

Selon le schéma proposé par André Chédeville et Emrys G. Bowen, les habitants du Devon fondent la Domnonée au nord, ceux du Cornwall s'installent dans tout le Finistère et une partie d'entre eux fonde la Cornouaille au sud-ouest. Ceux du pays de Galles rejoignent leurs compatriotes en s’établissant où il reste de la place, surtout au sud, à une époque plus tardive quand la région est déjà rebaptisée, d’où la rareté des toponymes gallois. [37]

C’est depuis les côtes sud du Cornwall et du Devon que le trajet est le plus court pour atteindre l’Armorique. On peut penser que de nombreux Gallois passent logiquement dans ces deux comtés et les traversent, le plus souvent via les rivières Tamar et Exe, afin de réduire au maximum la partie maritime du voyage. Ils abordent donc les mêmes côtes nord, de Trégastel à Paimpol, que les émigrants du Devon. Certains Gallois plus à l'ouest (Pembrokeshire et Carmarthenshire) ont pu se lancer directement depuis leurs côtes ce qui les fait contourner la péninsule jusqu’à l'aborder sur son littoral sud et effectuer un trajet plus long, jusqu'à 650 km pour ceux qui atteignent l'embouchure de la Vilaine. Selon N-Y. Tonnerre qui reprend les remarques de L.Fleuriot, la proximité entre le dialecte vannetais et la langue galloise est un indice que les Gallois ont colonisé le sud-est de l’Armorique : « le maintien des groupes -tn, -kn ou leur évolution en -ten, -ken est commun au breton du Vannetais et au gallois (...). Le rh initial, un des traits essentiels du gallois, se trouve en Haute Cornouaille et surtout dans de vastes régions du Vannetais intérieur. On peut également mettre en évidence l'emploi en gallois et en vannetais de la préposition ar (près de) qui a supplanté guar, war (sur) et en a pris le sens. » [38] Selon F.Falc’hun, cette proximité serait due à « une survivance gauloise peu influencée par l’apport breton. » [39] Toutefois cette influence s’observe jusque dans le cartulaire de Redon qui mentionne plus d’une centaine de fois le terme ran (exploitation) qui « exprime l’idée de partage et se retrouve en gallois dans le sens général de part, c’est le rhandir. » [40]

 

 

 

Les Bretons sont déjà installés près de Vannes début VIe siècle mais les noms de paroisses préfixés en Plou-, Plo-, Pleu-, Plu-, Plé- et Tré-, typiques de cette époque, se trouvent à l’ouest de la ville et complètement à l’est, le long de la voie romaine nord-sud située entre Vannes et Redon. L’absence de toponyme de ce type construit sur Daniel dans le Vannetais pourrait être le signe de l’arrivée de relativement peu de porteurs du nom et seulement à partir de la seconde moitié du VIe siècle. Le fait que la région de Vannes est plus densément peuplée de Gaulois et de Romains que le reste de l’Armorique pourrait expliquer une pénétration du nom plus à l’intérieur des terres dans cette zone.  

 

 

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frontière politique entre Bretons et Francs

 

de 497 à 753 ––––   de 753 à 840 ––––   de 851 à 915 ––––

 

 

Le contexte historique

 

La frontière de 497 à 753, en orange, est essentiellement naturelle, le long de la Rance, du Meu et d’une partie de la Vilaine, pendant une longue période de 250 ans. Mais, comme nous le verrons, elle n’a pas empêché des colons de s’installer plus à l’est dès le VIe siècle, en particulier dans la basse Vilaine.

Suite à un accord de paix conclu en 497 avec les Armoricains, Clovis (481-511) et son fils Childebert (511-558) permettent l’arrivée massive de Bretons pour nettoyer les côtes, en particulier la vallée de la Rance, des pirates saxons avec l’arrière-pensée de leur laisser le champs libre pour éventuellement conquérir la Bretagne insulaire. Childebert souhaite aussi pouvoir s’appuyer sur eux dans ses démêlés avec ses frères, notamment Clotaire. Durant leurs deux règnes, les Bretons deviennent très nombreux en proportion chez les Osismes, les Vénètes et dans une moindre mesure les Coriosolites. 

Childebert a aussi favorisé leur installation en Normandie et leur présence observée dans le Cotentin pourrait dater de cette époque même si les toponymes qui s’y trouvent semblent dater du bas Moyen Âge.

La frontière de 753-840, en rouge, qui contourne les Coriosolites à l’ouest, formée par les rivières Gouet et Oust, résulte de l’offensive de Pépin le Bref qui conduit à un repli des Bretons. A cette époque le gros de la migration est accompli, et il est difficile de dire si la pression franque a pu peser sur les créations de toponymes qu’on trouve concentrés à l’ouest et au sud chez les Osismes, ou si la forte présence des noms dans le Trégor est simplement due à la proximité avec le Devon.

La frontière 851-915, en vert, est établie après la victoire du prince breton Erispoë sur le roi franc Charles le Chauve et délimite la zone maximale d’influence bretonne, jusqu’à Angers. Il est logique de ne trouver pratiquement aucun Daniel au-delà.  

[41]

 l’Armorique au Ve siècle

tribus gauloises et réseau routier

 

On peut noter que les Daniel au XXe siècle se trouvent globalement à proximité des toponymes formés sur leur nom au Moyen Âge. L’écart entre plages bleu sombre et points rouges montre ici d’assez faibles mouvements des familles sur les dix derniers siècles. Les déplacements ont pu se faire pour la plupart vers l’intérieur des terres et illustrent la conquête de l’homme sur la forêt et la friche.

On observe toutefois une des plus fortes concentrations aujourd’hui autour de Maure-de-Bretagne, Pipriac et Messac, dans une zone où il n’y a pas de nom de lieu correspondant. Les archives du XIXe siècle montrent que ceux de notre lignée établis à Renac et Messac sont originaires du Grand-Fougeray. D’autres, très présents dans ces communes, pourraient venir de l’est du Morbihan où la concentration des noms de lieux formés sur ce nom est importante.

 

 

Les toponymes construits sur le nom en Armorique

 

Une carte des toponymes de différentes époques, augmentés de 231 parcelles, confirme une présence plus importante au nord. 40% des noms de lieux construits sur Daniel se trouvent dans les Côtes-d’Armor,[42] particulièrement regroupés dans la région de Guingamp, ce qui laisse supposer un point de chute sur les côtes très découpées allant de Trégastel à Paimpol et un point de départ depuis les côtes du Devon où les porteurs du nom sont pourtant peu présents dans le recensement de 1881. Comme vu plus haut, ils ont pu partir du sud pays de Galles et traverser le Devon via la Tamar et l'Exe pour rejoindre la Manche. Et de là, longer vers le sud jusqu’à la pointe de Start Point, se lancer dans une traversée de la Manche de 155 km et atteindre l’extrémité nord de l’Armorique. Beaucoup ont dû s’engager dans les rivières Jaudy et Trieux, et quelques-uns fonder Pleudaniel au bord de cette dernière à 8 km de son embouchure.  

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le nom Daniel dans la toponymie

 

393 noms de lieux construits sur Daniel et ses variantes [43]

3 paroisses primitives du VIe siècle (Ploudaniel, Pleudaniel et Trédaniel) l

86 toponymes des Xe-XIe en Ker- et Lan-

7 du XIe en -erie et Ty-

19 des XIe-XIIe en Loc - et Ville- n

15 des XIIe-XIIIe en -ais n

231 parcelles l

32 autres toponymes l

 

 

Le faible nombre de toponymes dans le Finistère nord, même comparé au Morbihan, peut surprendre. Les noms de lieux bretons du VIe siècle – toutes étymologies confondues – sont en effet autant présents dans cette zone que dans les Côtes-d'Armor, ce qui montre que les exilés qui prennent la mer depuis le Cornwall sont aussi nombreux que ceux qui partent du Devon. La distance est d'ailleurs la même entre ces deux points de départ et l'Armorique. 

La moindre présence du nom Daniel au nord du Finistère pourrait être due au fait qu’un certain nombre de colons, arrivés sur la même pointe nord et ne trouvant pas où s’établir près des côtes, ont traversé la péninsule, via les rivières Trieux et Blavet, jusque dans l’intérieur des terres au sud. Elle trahit aussi le contournement du Cornwall par ceux venant de Galles.

 

Seuls les trois toponymes du VIe siècle, Ploudaniel, Pleudaniel et Trédaniel, témoignent de l’introduction du nom à cette époque ; les autres sont des lieux habités ou exploités par des homonymes à une époque ultérieure et montrent de quelle façon ils ont investi le territoire. Dans tous les cas, la création d’un nom de lieu à une époque n’interdit pas la présence de porteurs de ce nom au même endroit plusieurs siècles avant.

 

Les parcelles – répertoriées en 1974 mais datant de toutes les époques depuis le Moyen Âge – montrent la répartition des possessions agricoles. Logiquement plus nombreuses dans les Côtes-d’Armor, souvent à proximité de toponymes plus anciens, elles précisent les zones mises en valeur par des porteurs du nom.

 

Il faut garder du recul dans la lecture de ces cartes qui – avec quinze siècles d’écart – ne reflètent peut-être au mieux que quelques vestiges de l’importance et de la répartition de la colonisation brittonique. Si celle-ci pourrait être la principale explication à la présence du nom Daniel en Bretagne au haut Moyen Âge, sa diffusion ultérieure ne peut pas être uniquement le résultat d’une transmission de génération en génération dans les mêmes lignées. Il a dû être adopté ensuite pour différentes raisons sans aucun rapport avec les colons et leurs lieux d’installation. « Des phénomènes de modes se développent. Des anthroponymes peu représentés, voire absents, au IXe siècle, connaissent une vogue souvent difficilement explicable : attesté dans le cartulaire de Redon seulement à deux reprises au IXe, le nom Daniel est porté par une quarantaine d’individus aux XIe et XIIe siècles. » [44] On observe alors en effet une mode pour les noms de l’Ancien Testament, en Bretagne mais aussi plus généralement en Occident. Ce point sera développé en partie VIII.

 

 

Le Vannetais

 

Dans l’est du Vannetais, on observe une forte concentration du nom, en particulier à l’intérieur du triangle Limerzel - Lauzach - Questembert où la proportion est une des plus élevées aujourd’hui. Cette zone correspond au « couloir breton » [45] formé par les communes d’Arzal (passage de Noy), Marzan, Péaule, Limerzel, Pluherlin et Pleucadeuc, le long de la voie romaine nord-sud qui relie l’embouchure de la Vilaine à la rivière Oust. Comme en témoigne le nombre important de toponymes en Tré-, il a été au VIe siècle un axe majeur de pénétration des colons bretons relégués sur des terres ingrates de landes et de forêts, en marge de Vannes trop densément peuplé à cette époque pour les accueillir. Une telle densité aujourd’hui encore dans une région privilégiée de la colonisation bretonne laisse à penser que les descendants des immigrés du VIe siècle n’ont jamais quitté les lieux.

La présence assez homogène des toponymes Kerdaniel en Cornouaille et dans le Vannetais plutôt dans l’intérieur des terres est l’indice de fondations d’habitats à l’occasion des défrichages aux Xe et XIe siècles.

 

 

Le pays de Redon

 

Le cartulaire de Redon [46] montre qu’en 820 les Bretons sont déjà installés à l’est de la Vilaine : Bourg-des-Comptes est à moitié breton ; Pipriac, Pléchâtel et Renac le sont entièrement.[47] Avessac, Pierric [48] et Fougeray y présentent plus de 80% de noms de lieux et de personnes bretons. Cette présence reste encore forte à Plessé, Bouvron et Guémené-Penfao ; à l’inverse de Luzanger, Derval et Savenay.

 

Daniel est le nom biblique le plus fréquent du cartulaire avec 53 occurrences, contre près de 40 fois dans celui de Quimperlé. En comparaison, on y trouve seulement une douzaine de David alors que ce nom est aujourd’hui davantage présent en patronymie comme en toponymie.[49] La fréquence est telle qu’il est parfois déterminé par un surnom, phénomène encore peu fréquent à l’époque : Daniel Hethloni en 1100 à Frossay (44), Daniel Collober en 1105 à Redon. Les surnoms ne seront vraiment généralisés en France qu’à la fin du XIIe siècle au moment où l’accroissement de la population rendra nécessaire un complément pour différencier les individus, avant de devenir les premiers noms de famille.

Le cartulaire mentionne un Daniel à Langon en 801,[50] un autre à Mouais en 1104,[51] à Ballac (en Pierric) en 1148,[52] trois communes contiguës à Fougeray et toutes bordées par la Vilaine, la Chère ou par les deux ; un autre à Gannedel en Brain-sur-Vilaine en 913,[53] à Carentoir en 827,[54] à Lohéac en 1081,[55] à Rennes en 1009.[56]

 

 

 

 

le bassin de la Vilaine et de ses affluents

 

 

Entre Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique, les toponymes afférents sont rares mais on trouve en particulier La Daniellerie à Conquereuil (44) qui date du XIe siècle, et l’Hôtel Daniel au Grand-Fougeray (35). Au Moyen Âge hôtel signifie maison d’habitation et désigne aussi une partie de la voie chaussée. On en trouve 56 dans les Côtes-d’Armor, 2 dans le Finistère, 29 en Ille-et-Vilaine, 29 en Loire-Atlantique et 37 dans le Morbihan.[57] L’Hôtel Halna (en Lamballe, 22) est cité en 1423, l’Hôtel Seignac (en Guérande, 44) en 1679. L’Hôtel Daniel au Grand-Fougeray pourrait être daté du XVe siècle [58] mais l’installation en ce lieu de porteurs du nom est de toute évidence bien antérieure.  

 

Les abords des trois principales rivières – Brivet, Don et Isac – « dans le bassin de la Vilaine, si facilement pénétrable aux petites barques d’autrefois » [59] et qui « a offert de tous temps une exceptionnelle voie de pénétration pour toute la Haute Bretagne »,[60] concentrent la majeure partie du peuplement breton entre Redon et Nantes ce qui montre que la colonisation a suivi étroitement les vallées. A partir du moment où celles-ci ne sont plus navigables, la colonisation cesse.[61] Les paroisses d’Avessac, Guémené-Penfao, Pierric et Fougeray se touchent et toutes sont en contact avec une ou deux des rivières Vilaine, Don et Chère. Pierric est même enclavé entre Fougeray et Conquereuil, le long de la Chère. Il paraît vraisemblable que toutes ont été colonisées via les cours d’eau. Guémené-Penfao, « un des rares noms de paroisse bretons du comté nantais, prouve l’importance de la colonisation bretonne le long de la vallée du Don » [62]

La plus forte présence des Bretons à Pierric et Fougeray qu’à Plessé, pourtant situé 20 km plus près de l’embouchure de la Vilaine, montre la prépondérance de celle-ci comme voie de pénétration sur les autres cours d’eau. Faut-il voir dans cette forte concentration des IXe-XIIe siècles l’indice d’une présence plus ancienne et d’une arrivée du nom directement à Conquereuil et Fougeray dès le VIe ? Le déroulement de la colonisation entre Redon et Nantes serait alors : Avessac par la Vilaine, puis Guémené-Penfao et Conquereuil par le Don ; Brain, Langon, Pierric et Fougeray par la Vilaine, enfin Mouais par la Chère qui borde ces trois dernières paroisses.  

  

Si Waroc II (†594), roi du Vannetais depuis 577, peut prendre Vannes en 578, battre les Francs sur la Vilaine au printemps 579 et avancer jusqu’à Corps-Nuds (16 km au sud-est de Rennes), dévaster le pays nantais à l’automne de la même année puis en 588, défaire à nouveau les Francs en 590 sur l’Oust et en 594 près de Rennes c’est qu’il dispose de solidarités dans ces régions, c’est-à-dire dans tout le tiers sud de l’actuelle Ille-et-Vilaine et dans la moitié ouest de la Loire-Atlantique. La région de Guérande est entre ses mains car quand Félix, évêque de Nantes, vient plaider en 588 la cause des populations victimes des incursions bretonnes, il rencontre Waroc dans la résidence de ce dernier entre Guérande et Piriac. Tout ceci indique que l’ensemble du bassin de la Vilaine, bien que sous domination politique franque jusqu’au IXe siècle, est déjà colonisé par les Bretons dans le dernier tiers du VIe. Jean-Yves Le Moing, spécialiste de la Haute-Bretagne, se demande même si la basse Vilaine n’est pas déjà entièrement bretonne au VIe siècle et si cette installation n’aurait pas commencé au Ve.[63]  

 

Dans l’hypothèse d’une introduction directe du nom, la nécessité pour des Daniel de remonter la Vilaine jusqu’à Fougeray pour trouver où s’établir témoignerait de la forte densité de population à cette époque et conforterait l’idée d’une arrivée relativement tardive, à un moment où les côtes, toujours très recherchées, et une large part de l’arrière-pays sont déjà occupées. 

La partie est de Fougeray où se trouve l’Hôtel Daniel, de même que la Dominelais et Saint-Sulpice-des-Landes, est au IXe siècle recouverte par la forêt de Teillay. Est-ce aller trop loin en conjectures d’imaginer qu’un porteur du nom se soit d’abord installé dans la partie ouest au VIe siècle, actuelle Saint-Anne, via la Vilaine et la Chère puis, à l’occasion du défrichage partiel de cette forêt aux XIe-XIIe siècles, se soit installé plus à l’est et ait fondé le hameau en lui donnant son nom ?  

 

La colonisation bretonne du pays de Redon s’est aussi faite depuis la côte nord, via la Rance, le Meu et la Vilaine qui forment la voie d’eau principale empruntée de longue date pour traverser la péninsule. Les paroisses de Ploërmel, Guipry, Plélan-le-Grand et Guichen auraient ainsi été fondées par des Bretons arrivés à travers la région de landes et la forêt centrale du Poutrecoët (Porhoët, pays à travers la forêt) qui couvraient alors la Bretagne centrale.[64]

L’hypothèse d’une traversée de l’Armorique du nord au sud par les Daniel rencontrés à Conquereuil et Fougeray paraît moins vraisemblable pour les raisons vues plus haut : répartition des toponymes anciens et des anthroponymes, distance plus importante à parcourir, et aussi du fait des événements survenus sur l’île dans la seconde moitié du VIe siècle.

 

 

Les événements de 577 et 578

 

La situation outre Manche et dans le Vannetais accrédite en effet l’hypothèse d’une arrivée des Daniel à cette époque dans le bassin de la Vilaine.

Sur l’île, à partir du milieu du VIe siècle, les Britons sont en grande difficulté. Ils sont d'une part touchés par la peste bubonique, ou peste justinienne, qui ravage leur pays et l’Irlande de 547 à 551.[65] De Plus, cette épidémie, arrivée au sud Galles depuis Nantes et Bordeaux, ne touche pas les Saxons et les Angles avec lesquels les Britons n'ont pas de contact. Elle participe au fait que, de tout temps, l’émigration vers l’Armorique atteint son maximum dans la période 540-550. 

Ils sont d'autre part battus en 552 à Old Sarum (Searobyrig) près de Salisbury dans le sud Wiltshire par les Saxons du Wessex conduits par Cynric, puis de façon décisive en 577 à Dyrham par les mêmes Saxons conduits par Cuthwine et Ceawlin qui prennent les villes stratégiques de Gloucester, Cirencester et Bath. Les liaisons terrestres sont désormais très difficiles entre les Britons établis de part et d'autre du canal de Bristol.

 

 

 

 

l’attaque des Saxons à Dyrham en 577

 

 

Au sud de l’Armorique, cet afflux d’exilés exerce une pression démographique qui pousse les Bretons du Vannetais à trouver de nouveaux territoires à l’est, mais elle apporte également des forces nouvelles à l’armée de Waroc II pour y parvenir, d’où ses incursions dès 578 à l’est de la Vilaine en territoire franc. Cette arrivée massive survient à un moment où les Armoricains colonisent une région où se sont installés des Daniel. Le fait que leur nom est fortement présent à la fois au sud du pays de Galles, non loin de l’offensive saxonne en 577, et dans le territoire pillé par Waroc dès 578 laisse supposer un lien de causalité. De plus, les colons établis dans le Vannetais sont pour beaucoup originaires du pays de Galles plutôt que du Cornwall et du Devon comme en témoigne la proximité, évoquée plus haut, entre le dialecte qu’on y trouve depuis et la langue galloise.

 

 

L'introduction du nom dans la basse Vilaine

 

L’arrivée de porteurs du nom Daniel dans le bassin de la Vilaine aurait ainsi pu se faire dans la première moitié du VIe siècle car entre 497 et 558 les Francs encouragent l’installation des Bretons en Armorique et cette colonisation concerne surtout le nord ouest et le sud de la péninsule. Les paroisses Ploudaniel dans le Finistère, Pleudaniel et Trédaniel dans les Côtes-d’Armor ont certainement été fondées à cette époque. Toutefois, une arrivée lors de la dernière grande migration des années 550-580 paraît plus probable car elle concerne particulièrement le Vannetais et le pays de Redon. En poussant l’hypothèse au plus loin, une famille ou un individu nommé ainsi aurait alors quitté l’île et se serait installé par l’embouchure de la Vilaine à proximité de celle-ci, peut-être même directement à Fougeray ou dans celle primitive de Massérac-Guémené qui incluait l’actuel territoire de Conquereuil.  

 

Dans le dernier quart du VIe siècle, les Bretons s’établissent dans toute la basse Vilaine, fleuve frontière avec les Francs de 497 à 753. Les colons sont en minorité dans une zone que se disputent les deux peuples mais dans laquelle l’armée vannetaise gagne régulièrement du terrain par les offensives répétées de Waroc de 578 à 594. Ces colons établis en territoire hostile servent de point d’appuis dans la conquête vers l’est, l’encouragent et la facilitent.

D’autres s’établissent à la même époque à l’est du Vannetais. Leur histoire peut être la même mais leur itinéraire différent. Au lieu de remonter la Vilaine, ils empruntent le couloir de paroisses primitives bretonnes alignées plus à l’ouest, de Arzal à Pleucadeuc, entre l’embouchure du fleuve et la rivière Oust le long de la voie romaine.  

 

En pays nantais, La Daniellerie à Conquereuil présente un profil similaire à celui de l’Hôtel Daniel de Fougeray. Les deux lieux sont à faible distance (12 km à vol d’oiseau), chacun situé à proximité d’une rivière affluente de la Vilaine (le Don pour La Daniellerie, la Chère pour l’Hôtel Daniel), et leurs paroisses se trouvent sur la voie romaine qui part de Blain plus au sud et rejoint Rennes. Les deux toponymes ne datent pas de la même époque (XIe siècle pour La Daniellerie, XVe pour l’Hôtel Daniel) mais des Daniel ont pu s’y établir au même moment plusieurs siècles avant. Vu leur proximité géographique dans une zone où on ne trouve aucun autre toponyme formé sur ce nom, l’idée d’un lien familial entre leurs fondateurs serait envisageable. On pourrait imaginer la colonisation d’un Daniel à Conquereuil à la fin du VIe via la Vilaine et le Don, et parallèlement d’un autre à Fougeray via la Vilaine et la Chère… ce qui serait certes aller loin en conjectures.

Dans les deux cas la fondation du hameau a dû se faire à l’occasion des défrichements et déforestations entamés au XIe siècle. Celui qui défriche et crée un établissement donne son nom au lieu qu’il fonde. C’est certainement le cas à Conquereuil puisque le XIe siècle est une période d’intenses défrichements. C’est sans doute le cas également à Fougeray dont la partie est, où se trouve l’Hôtel Daniel, était alors recouverte par la forêt de Teillay dont il reste aujourd’hui une partie à Saint-Sulpice-des-Landes. Un travail plus important de défrichage du fait de cette forêt a pu être l’occasion d’une fondation plus tardive.

  

A priori, les colons ne déménagent pas toujours plus à l’est au fil des conquêtes bretonnes entre les VIe et IXe siècles. Ils s’établissent plutôt dans un lieu disponible, près du littoral dans les premiers temps aux IVe-Ve, puis les suivants davantage dans les terres selon les possibilités, mais chacun s’installe à proximité de l’endroit où il arrive et vraisemblablement y reste. Si on retient ce schéma, un même groupe n’a sans doute pas migré depuis le Vannetais jusqu’à Conquereuil et Fougeray devenus politiquement bretons au IXe siècle, et il paraît plus probable que les Daniel de ces deux derniers lieux s’y soient établis dès leur arrivée, soit au mieux à la fin du VIe. Mais peut-être aussi bien plus tard si on envisage une immigration davantage étalée dans le temps comme y invite N-Y. Tonnerre : « le recensement des signataires des actes du cartulaire de Redon fait voir le surpeuplement des espaces cultivés. Ce surpeuplement n'est sans doute pas lié à un essor démographique ; les indices maigres dont nous disposons sur la composition des familles ne montrent pas un accroissement naturel sensible ; il faut plutôt mettre en évidence une immigration bretonne qui a dû progresser tout au long du XIe siècle. Ce sont ces migrants qui ont joué le rôle déterminant dans les entreprises de conquêtes sur la forêt. » [66]

 

Les Daniel de notre lignée vivent à Fougeray dans les lieux-dits Le Coudray et Branzan distants de 400 mètres. Dans les archives, on n’en trouve aucun à l’Hôtel Daniel même. Toutefois, Branzan étant situé à 250 mètres et cette famille y étant domiciliée depuis au moins 1652, date du mariage de Julien Daniel, il paraît hautement probable qu’elle lui a donné son nom. Ce n’est que huit générations plus tard, avec l’installation à Saint-Just de François Daniel en 1898 quand il se marie avec Jeanne Tiger que nos Daniel quittent définitivement le Grand-Fougeray après y être restés possiblement treize siècles.[67]

 

 

 

VI Résumé de synthèse chronologique

 

 

Du proche Orient à l’île de Bretagne

 

A l’origine, le nom Daniel vient du quatrième grand prophète auquel un livre du IIe siècle avant JC est consacré dans l’Ancien Testament.

En 414, le nom est adopté par un moine de Constantinople qui devient célèbre dans les années 460 par ses prédictions et ses guérisons sous le nom de Daniel le Stylite.

Parallèlement, en Bretagne insulaire où le christianisme s’est répandu au IIIe siècle, les monastères se développent dès la fin du IVe siècle en réaction à la corruption du clergé et aux conversions de masse qui conduisent à des pratiques dévoyées. Dans un souci de pureté, les moines cherchent à s’approcher au plus près des sources de leur religion et se lancent dans des pèlerinages vers les Lieux saints, Jérusalem, Constantinople, Éphèse, le désert égyptien où vivent des ermites et des moines connus pour leur ferveur, les lieux de Judée fréquentés par le Christ. Également, Antioche dont l'Église est la plus importante de la chrétienté après Rome et Alexandrie, et où les disciples de Jésus avaient reçu pour la première fois le nom de « chrétiens » …

Beaucoup de ces voyages se font par mer ce qui est moins dangereux, plus rapide et aussi plus pratique car des navires de Méditerranée fréquentent les côtes du Cornwall au sud-ouest de l’île. Cette région commerce en effet avec des marchands proche-orientaux surtout attirés par l’étain dont elle est à cette époque le plus gros fournisseur, métal plus précieux que l’or car nécessaire à la fabrication du bronze utilisé depuis plusieurs siècles dans la confection des armes. La région dispose aussi de plomb, de cuivre, elle fournit des chiens de chasse, des esclaves… En échange, les navires orientaux apportent du vin, de l’huile, des olives, des céréales... De très importantes quantité d’amphores et de céramiques méditerranéennes des Ve et VIe siècles ont été retrouvées à Tintagel au nord du Cornwall plus que partout ailleurs dans l’île alors qu’on n’en trouve très peu en Gaule, ce qui laisser supposer une liaison maritime directe avec certains ports de Grèce, d’Égypte, d’Asie Mineure (Izmir, Éphèse), de Libye, Tunisie, Chypre…

Ces voyages sont l’occasion de découvrir des mœurs différents, des pratiques religieuses particulières et la popularité de saints et de héros de la Bible comme Abraham, Isaac, Jacob, Samuel, David, Salomon, Daniel, Paul

Les séjours peuvent durer plusieurs années, soit parce que les pèlerins souhaitent rester plus de temps, soit parce qu’il ne leur est pas toujours facile de trouver un armateur pour les ramener. Ils ont donc le temps de s’imprégner de la culture des régions visitées.  

 

Vers 489, à une époque où les pèlerinages sont devenus fréquents, Daniel le Stylite meurt à Constantinople. Cet événement fait qu’on parle soudainement beaucoup de lui. Son nom se popularise et est largement adopté. Les pèlerins brittoniques présents à cette époque en Anatolie sont frappés par sa célébrité et introduisent son nom à leur retour dans l’île de Bretagne vers 490 où ils le rendent également populaire, de même que d’autres noms bibliques.

 

Durant le Ve siècle, le territoire brittonique s’est progressivement réduit au pays de Galles, au Cornwall et au Devon, au sud-ouest, suite au départ des troupes romaines en 411, puis à l’invasion des Angles et des Saxons venus de l’actuel Danemark. C’est de cette région que partent les pèlerins et c’est là qu’ils retournent, ce qui expliquerait pourquoi les noms bibliques, encore aujourd’hui, se trouvent surtout concentrés au sud-ouest de la Grande-Bretagne.

A cette époque, du fait du moins grand développement des pèlerinages en Orient chez les Gallo-romains et les Francs et parce qu’ils ont moins de contacts commerciaux avec la Méditerranée, le nom Daniel n’arrive pas en Gaule, sauf à Marseille, port important de longue date, où il est introduit dès le IIe siècle par d'autres pèlerins ou par des troupes romaines.

 

 

De l’île de Bretagne à l’Armorique

 

L’émigration des Britons vers l’Armorique, entamée à la fin du IVe siècle, atteint son maximum au milieu du VIe, entre 540 et 550, avant une nouvelle vague vers 570-580 puis une diminution progressive. Ils s’installent le long de la Loire et en Normandie, mais surtout en Armorique du fait de sa proximité avec leur point départ et y deviennent nombreux au point que celle-ci change de nom au VIe siècle pour s’appeler désormais la Bretagne.

Beaucoup de Britons qui arrivent dans cette période portent des noms bibliques et certains d’entre eux s’appellent Daniel. C’est vraisemblablement par ce biais que le nom a été introduit et une des raisons pour lesquelles, quinze siècles, la Bretagne est la région de France où il est le plus présent.  

 

Les immigrants prennent le chemin le plus court. Ceux qui partent du Devon s’installent au nord dans les actuels Finistère et Côtes-d’Armor et fondent la Domnonée, ceux qui partent du Cornwall s’établissent plus au sud-ouest et fondent la Cornouaille, ceux qui viennent du pays de Galles participent également à la fondation de la Cornouaille mais d’autres, arrivés plus tardivement, s’installent où il reste de la place, surtout dans le Bro Waroch au sud, l’actuel Vannetais.

Les premiers à partir s’établissent au plus près et le long du littoral toujours très recherché. Les suivants s’installent plus loin en contournant la péninsule à mesure que le littoral est occupé, puis entrent dans les terres. Durant le VIe siècle le plus gros de la colonisation est accomplie.

Les noms de lieux que l’on trouve sur le littoral des Côtes-d’Armor et du Finistère nord (Kerdaniel, Kerdanniou, Ploudaniel…) pourraient correspondre à une arrivée fin Ve-début VIe siècle ; ceux rencontrés dans les terres à l’est du Vannetais et dans le pays de Redon (La Ville Daniel, La Croix Daniel, La Danilais…) à une arrivée à la fin du VIe. Ces toponymes ont été créés à différentes époques jusqu’au XIIIe siècle mais les anthroponymes sur lesquels ils sont construits sont déjà présents souvent depuis le VIe.

 

 

L’introduction dans le pays de Redon

 

A partir de 550 dans l’île de Bretagne, les Saxons reprennent l’offensive contre les Britons et, en 577, gagnent une bataille décisive à Dyrham aux portes du pays de Galles. C’est l’occasion d’une nouvelle de vague de départs, une des dernières importantes même si l’émigration ne s’éteindra totalement qu’au XIe siècle et même s’inversera. A cette époque le littoral nord de l'Armorique est déjà très peuplé et certains exilés doivent trouver de la place ailleurs. Beaucoup entrent dans les terres où cela est possible, certains s’installent dans la région de Vannes et autour de la Vilaine, entre son embouchure et Redon. Le nombre important de nouveaux arrivants renforce l’armée de Waroc II, roi dans le Vannetais, ce qui lui permet entre 578 et 594 de gagner plusieurs batailles contre les Francs dont le territoire est délimité par la Vilaine. Les colons se soucient peu des frontières et s’installent aussi loin qu’ils peuvent en empruntant les cours d’eau, la Vilaine et les rivières affluentes, l’Oust, l’Aff, l’Isac, le Don, la Chère…  

 

Dans ces années 550-580, fuyant la pression saxonne, certains de ces Bretons qui portent le nom Daniel quittent la région de Carmarthen au sud du pays de Galles, contournent la péninsule armoricaine jusqu’à l’est du Vannetais, remontent la Vilaine et la rivière Don pour s’installer à Conquereuil en Loire-Atlantique. D’autres montent plus haut et s’installent à Fougeray en empruntant la rivière Chère. D’autres encore, s’établissent dans l’est du Vannetais à l’ouest de la Vilaine et au sud de la rivière Oust où plusieurs paroisses majoritairement bretonnes sont accueillantes – Marzan, Péaule, Limerzel, Pluherlin, Pleucadeuc – au milieu d’autres densément peuplées de Gallo-romains. Ceux installés à Conquereuil et Fougeray sont en territoire franc. Les Bretons y sont minoritaires mais leur situation est suffisamment viable pour qu’ils y restent définitivement. Vers les IXe-Xe siècles, ils deviennent majoritaires dans cette partie nord du Pays nantais enfin politiquement bretonne en 851.  

 

Aux Xe et XIe siècles, l’accroissement de la population rend nécessaire le défrichage pour augmenter la surface cultivable. Les descendants des Daniel de Conquereuil ont pu prendre part à ces travaux et à cette occasion fonder le hameau La Daniellerie dans un lieu gagné sur la friche.

A cette époque la forêt de Teillay, dont il reste aujourd’hui une partie à Saint-Sulpice-des-Landes, occupe encore la paroisse de Fougeray jusqu’au bourg. Les descendants des Daniel établis là au VIe siècle défrichent eux aussi et fondent le hameau l’Hôtel Daniel dans l’espace gagné sur cette forêt.  

 

Les registres paroissiaux, dont la tenue est imposée par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, n’existent à Fougeray qu’à partir de 1615. Le plus ancien ancêtre de notre lignée qu’il a été possible d’y trouver est François Daniel, marié en 1639. Dans la même paroisse, une deuxième branche Daniel de notre famille – dont le plus ancien membre connu est Julien Daniel, marié en 1652 – vit au hameau du Coudray puis, aux alentours de 1790, déménage 400 mètres plus haut pour s’établir à Branzan. Branzan est situé à 250 mètres de l’Hôtel Daniel. Notre famille étant domiciliée dans ce lieu au vu des archives depuis au moins deux siècles et demi, et peut-être même depuis les années 580, il paraît très vraisemblable qu’elle lui a donné son nom.

Depuis le XVIIe siècle, huit générations se succèdent au Coudray, à Branzan et à La Claie, jusqu’à ce qu’en 1898 François Daniel quitte le Grand-Fougeray pour s’établir à Saint-Just et rejoindre Jeanne Tiger. Avec son départ s’achève une présence à Fougeray des Daniel de notre lignée qui a pu durer près de 1300 ans.

 

 

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VII Critiques

 

 

Depuis sa mise en ligne en 2008, cette hypothèse d’une introduction du nom Daniel et d’autres noms de l’Ancien Testament en Armorique au VIe siècle depuis l’Orient via la Bretagne insulaire a fait l’objet de plusieurs critiques.

 

 

La cartographie

 

La principale est que la cartographie du nom au XXe siècle dans le grand Ouest présenterait tout au plus sa popularité au Moyen Âge central (XIe-XIIe siècles), voire tardif (XIIIe-XVe), car la fixation des noms de personnes s’est réalisée du XIe au XVe siècle. Cette répartition ne pourrait donc rien dire sur la période antérieure du haut Moyen Âge (Ve-Xe) et il ne serait pas possible d’y trouver des traces de la migration brittonique du VIe siècle.

Cela rejoint en partie la position de Jean-Christophe Cassard : « la fréquence des noms tirés de l’Ancien Testament, devenus des noms de familles très prisés en Basse-Bretagne (…) » [est] « un phénomène anthroponymique contemporain de l’imposition de noms propres aux lignées familiales, à l’heure où des qualificatifs, figés dans une forme vieille-bretonne s’immobilisaient eux aussi en noms de famille. » [68] Mais il est ici question de fréquence, pas d’existence.

Cette critique sous-entend au passage que la répartition du nom en Grande-Bretagne d’après les données du British Census de 1881 n’y dirait donc rien non plus sur la situation d’avant le XVe siècle, moment où la fixation débute au pays de Galles.

On peut toutefois se demander comment une carte établie à partir de données récentes pourrait refléter le moment où les noms se fixent et en rien la situation antérieure ? Les anthroponymes sont en usage depuis que l’homme existe, tous n’émergent pas ex nihilo et leur répartition au Moyen Âge central repose nécessairement sur une réalité plus ancienne. Par quelle fatalité leur cartographie n’en porterait-elle aucune trace, et d’ailleurs en quoi la fixation change-t-elle quelque chose ? Au moment où elle se produit, ils ont même toutes les chances d’avoir été déjà portés par les générations précédentes.  

 

La critique porte aussi sur l’interprétation de la cartographie du nom en Grande-Bretagne. Déduire de celle-ci qu’il est d'origine galloise résulterait d’une superposition excessive d’hypothèses [68b] difficilement démontrables : 1 – que le nom était usité aux Ve et VIe siècles, 2 – qu’il était usité au pays de Galles mais pas en Armorique, 3 – qu’il aurait migré du pays de Galles jusqu'en Armorique. Les indices exposés allant dans ce sens ne seraient donc pas suffisamment probants et les sources pas assez fiables.

 

 

Les plou-

 

À l’appui de cette critique, il est avancé que la création des paroisses dénommées par des toponymes préfixés en Plou- ne serait pas avec certitude contemporaine de cette migration et qu’elle daterait même pour beaucoup du bas Moyen Âge. Argument surprenant au vu de tout ce qui a été publié sur le sujet depuis plusieurs décennies,[69] et basé sur le fait que les actuels Plou- résultent de contractions tardives du latin Plebs avec le second élément tels que rencontrés notamment dans les cartulaires jusqu’au XIVe siècle. Ploudaniel et Pleudaniel ont ainsi été formés à partir de Plebe Danielis (1330) devenu Ploedaniel (1427).

Noël-Yves Tonnerre affirme pourtant que « le terme plou est incontestablement un mot brittonique dérivé du latin plebs », qu’il est parfois utilisé tel quel en cornique, « la paroisse de Bothek est dite Plou UUtheck »,[70] et Joël Cornette précise qu’il dérive aussi du gallois plwyf et est également présent dans le Cornwall.[71]

L’évolution complète est alors : création des plwyf et plou (issus du latin plebs) aux pays de Galles et Cornwall > introduction en Armorique au VIe siècle, latinisés en plebs comme on le voit dans les cartulaires > contraction tardive des deux éléments en toponyme préfixé Plou-.  

 

Comment le passage de plebs à plou après le Moyen Âge central permettrait-il de dater les plou de cette époque si elles en procédaient déjà avant de migrer en Armorique ? Quelle que soit leur évolution ultérieure, il semble plutôt qu’on puisse directement considérer la plupart des plebs [72] comme des paroisses fondées par des Britons, et ce, sans se préoccuper du moment d’apparition de la forme en Plou- ni du fait qu’elle ne soit jamais apparue comme pour Plebs Darual (819) devenu Derval, Plebe Fulkeriac (852) devenu Fougeray, Plebs Avizac (861) devenu Avessac...

À la question de savoir si certains plebs pourraient être autre chose que des latinisations de plwyf et plou et donc aboutir ensuite à des Plou- qui ne seraient ni très anciens ni même bretons, les toponymistes consultés répondent que ce type de plebs n’existe pas. Il ne semble donc pas y avoir de raison de douter que les trois toponymes suivants datent de la migration bretonne :

- Ploudaniel : noté Ploedenyel et Ploudeniel au haut Moyen Âge, puis Ploudaniel (1310), Ploedaniel (1336 et 1481), Plebs Danielis (1336), Plouedaniel (1444), Guicdenyel (1528), ce qui permet de noter au passage qu’en fin de période il peut y avoir aussi retour au toponyme composé introduit par le générique Plebs.

- Pleudaniel : préfixé Plou- jusqu’au XIXe siècle. Ancienne paroisse primitive dédiée à saint Daniel de Bangor Fawr, doublet étymologique de Ploudaniel. Selon Bernard Tanguy, c’est « comme l'indique le vieux-breton ploe, premier élément de son nom, une paroisse bretonne primitive. » [73]

- Trédaniel : selon Bernard Tanguy, « il remonte à une fondation du haut Moyen Âge.» [74]

 

 

L’origine orientale

 

L’introduction du nom au pays de Galles par des pèlerins revenus d’Orient est également mise en doute par Bernard Merdrignac, spécialiste de l'histoire religieuse de l'Occident médiéval, qui indique : « Je ne crois pas non plus à une influence orientale dans la diffusion de ces noms bibliques. » [75] Il est aussi avancé que ces noms étaient certainement connus partout en Occident et qu’il n'est pas nécessaire d'envisager une importation par des pèlerins de retour d'Orient.

Cette opinion est toutefois contraire à l'hypothèse développée par Charles Thomas [76] dans Celtic Britain (1986) sur laquelle est en partie basée cette étude. Sans évoquer l’anthroponymie, Cornou et Giot le rejoignent partiellement en évoquant les insulaires du VIe siècle qui « ne sont pas coupés du monde méditerranéen ; ils en importent vin, huile et poteries de luxe, dont beaucoup viennent de Méditerranée orientale et expliquent les influences de Byzance et du monde copte sur l’église d’Irlande d’ailleurs. (…) La Bretagne armoricaine est quasiment court-circuitée, elle paraît hors de ce transit » [77], ce que semble en effet illustrer la carte de répartition des amphores en Europe autour de l’an 500 (cf. partie IV).

Alban Gautier ajoute « ce n’est que dans l’Ouest, à Dinas Powys [Glamorgan], South Cadbury [Somerset], Tintagel [Cornwall] (…) que l’on trouve des restes de céramique importée du bassin méditerranéen (…) de la vaisselle sigillée rouge d’Asie Mineure, (…) des amphores ayant contenu de l’huile d’olive de la région de Carthage ou du vin des environs de Gaza. (…) Ces importations (…) ont sans douté commencé vers la fin du Ve siècle. » [78]

A propos des différences entre christianismes celtique et anglais, Fr. John Nankivell souligne que « les preuves de l'influence artistique de la Méditerranée orientale sont évidentes, et il faut s'y attendre compte tenu de l'importance des itinéraires maritimes. (…) Il y avait sans doute des liens directs entre les moines de l'Est et les Irlandais. » [79]

Dans sa thèse, Bernard Susser indique : « les pièces de monnaie proche-orientales de la période romaine découvertes dans le Dorset et le Devon montrent un lien précoce entre ces zones. (…) Exeter a été l'un des premiers ports d'escale pour le trafic maritime en provenance de la Méditerranée remontant la Manche. L’analyse des pièces montre également qu’elles proviennent principalement d’Antioche, Cyrrhus, Samosate, Zeugma, Singara, Hiérapolis…»,[80] qui sont toutes des villes d’Asie Mineure.

Surtout, dans ses épîtres, Jérôme de Stridon (340-420) mentionne aussi la présence de pèlerins bretons en Orient : « Les portes du ciel sont tout aussi largement ouvertes aux Bretons dans leur patrie, qu’à ceux qui viendront à Jérusalem. (…) Les Bretons, bien que séparés du reste du continent, tournent le dos au soleil couchant, et partent à la recherche d'une région dont ils ne connaissent rien sauf par ouï-dire et par le récit biblique. (…) Les Britons ont visité Rome en liaison avec d’autres nations et, en quittant Portus Romanus, ne sont pas seulement passés en Palestine, mais même dans la Syrie voisine, où ils ont été attirés par la renommée de Siméon le Stylite [389-459]. » [81]

 

Une origine alternative pourrait être due à la diffusion des écrits bibliques, facilitée par la légalisation du christianisme en 313, puis son obligation en 380. Diffusion sans doute précoce car dès 314 trois évêques bretons sont présents au concile d’Arles convoqué par Constantin, et dans son exposé sur l’importance des martyrs, comme on le verra, J.R. Davies semble supposer que les Gallois avaient connaissance de l’Histoire ecclésiastique de 324 d’Eusèbe de Césarée. Mais dans cette option, la correspondance de dates entre la popularité de Daniel le Stylite et l’émergence de Deiniol de Bangor perd de sa pertinence, de même que la présence d’amphores orientales dans le sud-ouest insulaire et leur absence en Armorique. Et si on la retient quand même, les noms bibliques auraient alors dû de la même façon et à la même époque être introduits chez les Gaulois armoricains.

 

 

Les noms vétérotestamentaires brittoniques au très haut Moyen Âge

 

L’usage des noms vétérotestamentaires dans ces régions entre le IIIe et le XIIe est suffisamment important pour que J.R. Davies, chercheur à l’université de Glasgow, leur consacre une étude. Il y voit d’abord un marqueur identitaire propre aux seuls locuteurs brittoniques : Gallois, Cornouaillais et Bretons.

Ces anthroponymes sont en effet rares « dans l'Angleterre anglo-saxonne, l'Irlande ou toute autre partie de l'Occident chrétien », mais très fréquents « dans presque n'importe quelle source pour les peuples de langue brittonique du début du Moyen Âge. » A la même époque, les Britons se distinguent de façon inverse des Irlandais par la liturgie : le culte des saints de l'Ancien Testament est absent des pays de Galles, Cornwall et Bretagne alors qu’il est très présent en Irlande comme le montre le missel de Stowe (792-803).

Pourtant les saints patrons des quatre évêchés gallois médiévaux portent tous un nom de ce type : Eliud (†560), Daniel (†584), Asaph (†596) et David (†589 ou 601).

Parallèlement, « les noms Daniel, Isaac, Ismaël, Jacob, Joseph et Salomon apparaissent régulièrement dans des sources du pays de Galles du haut Moyen Âge, en particulier dans le Livre de Llandaf [XIIe siècle] et les listes d'ascendance. » [82]

 

Le plus ancien cas connu de Briton portant un nom de l’Ancien Testament est Aaron, martyr chrétien gallois de Caerleon (Gwent) du IIIe siècle. Le premier évêque insulaire à faire de même, en 644, est Ithamar, qui est aussi le nom du fils de Aaron dans la Bible. Asaph, saint patron de l’évêché de Llanelwy au nord du pays de Galles, est aussi, dans la Bible, musicien à la cour de David. Cet Asaph gallois, et cousin germain de Deiniol, a pour père Sawyl dit aussi Samuil soit Samuel, également proche du roi biblique.

Davies se demande si Asaph n’a pas été « choisi délibérément par les promoteurs de son culte afin qu'il soit perçu, à travers cette connexion, comme entretenant une relation similaire avec le David gallois. Peut-être les ecclésiastiques du Perfeddwlad [83] avait reconnu le succès du culte de saint David et des principales églises subordonnées aux évêques de St. Davids et souhaitait bénéficier d'une association. »

Notons au passage que le nom d’origine du saint gallois est Dewi, qui dérive presque certainement du vieux celtique dŒwo- (Dieu) à rapprocher de Zeux, Deus, Deva, Dagda… élément attesté dans les noms Deiana, Deieda, Dieda de la période romaine.[84] Il aurait ainsi été associé par paronymie à David d’origine hébraïque (Dawidh, דוד) pour l’assimiler au roi d’Israël. C’est donc Dewi,[85] saint patron du pays de Galles dans le Ceredigion au VIe siècle, qui serait à l’origine de l'adoption du nom David, et non pas une mode pour ce nom biblique qui aurait conduit à adopter le nom Dewi.[86]

Les rapprochements Aaron/Ithamar et Asaph/David renvoient l’auteur à d’autres associations entre des personnages mentionnés par les Britons, la plupart des XIe-Xe siècles avant JC, et dont le roi David est la personnalité centrale. On trouve ainsi Samson, 13e juge ; Aaron, premier grand prêtre d’Israël et frère aîné de Moïse ; Josué, ami et successeur de Moïse ; Eli, fils d’Ithamar, 14e juge et mentor de Samuel. Le prophète Samuel, 15e juge, qui désigne David roi d’Israël ; Hannah, mère de Samuel ; Isaïe (Jesse), père de David ; Elihu est le nom d’un allié et aussi d’un frère de David ; Jonathan, ami de David ; Zacharie, prophète et frère d’Asaph ; Salomon, fils de David, et dont la demi-sœur, Tamar, donnera son nom à la rivière entre Devon et Cornwall empruntée par les exilés brittoniques. Daniel est aussi le nom d’un autre fils de David. Plus loin dans le temps, on trouve Abraham et son fils Isaac qui donneront leurs noms à des évêques gallois de St Davids ; Ismaël, premier fils d’Abraham ; plus près, au Vie siècle, les grands prophètes Isaïe, Ezéchiel, Daniel. Plus près encore, dans la généalogie du Christ, cinq générations avant lui, on trouve Eliud, assimilé à Elihu par les Britons, dont le nom sera repris par un des quatre saints patrons des évêchés gallois…

 

Mais, en l’absence de culte aux saints de l’Ancien Testament comme vu plus haut, cela n’explique pas la spécificité brittonique à faire ces choix. Pourquoi les Anglo-Saxons et même les Francs qui se voyaient eux aussi comme un nouveau peuple élu n’auraient-ils pas montré d’intérêt pour ces noms ?

Davies trouve une explication chez le moine Gildas qui « accorde une importance particulière aux tombeaux des martyrs britanniques, dont ceux d'Alban, Julius et Aaron. Étant donné le nom de ce dernier martyr, Aaron, la nomination de l’évêque Ithamar d’après un fils d'Aaron pourrait revêtir une signification encore plus nette. » Gildas « donne un indice sur la signification de la coutume lorsqu'il appelle les Britons ‘praesens Israel’, ‘Israël du dernier jour’. Un autre modèle présent dans De excidio Britanniae est sa liste de dix-sept personnalités de l'Ancien Testament dont la vie pourrait servir de modèle aux évêques et aux prêtres (…). De plus, l’influence de l’interprétation de l’histoire par Gildas était fondamentale dans l’historiographie galloise des siècles suivants et cette identification des Britanniques avec Israël a peut-être incité les élites de ce peuple à porter cette identification sous leur nom. »

 

Gildas (494-565), d’abord élève à Cor Tewdws, monastère celtique de Llantwit Major, Glamorgan, migre ensuite en Armorique avec saint Samson (Glamorgan 495 - Dol 565) et saint Pol (Glamorgan 480 - Batz 594), et finit ses jours dans le Morbihan. Il semble être l’homme-clé pour comprendre l’attachement des Britons aux noms vétérotestamentaires, et en incarne aussi la migration.[87]

 

Ce qui conduit l’auteur à l’hypothèse suivante : « George C. Boon a indiqué quelques exemples de preuves de l'adoption de noms de l'Ancien Testament par des chrétiens du IIe siècle au moment de leur persécution ; Eusèbe et d’autres auteurs ont cité des martyrs, et d’autres chrétiens persécutés, qui ont changé leur nom païen romain pour s’appeler à la place Zacharie, Élie, Jérémie, Isaïe, Samuel et Daniel, (…) cela pourrait fournir la meilleure explication pour le nom Aaron. Richard Sharpe a montré que les martyrs romano-britanniques étaient très tôt des sujets de culte et qu'ils fournissaient un contexte pour l'émergence de nouveaux cultes de saints autochtones dans la Bretagne insulaire des VIe-VIIe. L'utilisation de mots liés au martyre, en particulier gallois en tant qu'élément de lieu, relie les anciens cultes et les nouveaux. De la même manière que cette terminologie du martyre s’est sclérosée, il a pu en être de même d'une tradition consistant à adopter les noms de l'Ancien Testament. (…) L'adoption et la conservation d'une tradition de dénomination d’après l'Ancien Testament dans tout le monde de langue brittonique semblent évoquer une identité culturelle forte et consciente d’elle-même. Cette pratique ancienne, qui s'est développée pendant les périodes romaine et sub-romaine, a été maintenue au sein des communautés successives en tant que trait distinctif jusqu'au XIIe siècle. »

Le Daniel mentionné ici est celui décapité en 309 à Césarée (Palestine) avec ses compagnons Eli, Isaïe, Jérémie et Samuel, tous égyptiens. Ils sont mentionnés en 324 par Eusèbe de Césarée (265-339),[88] évêque en Palestine, qui en parle d’autant mieux que parmi les victimes se trouvait son propre maître Pamphile de Césarée. Parmi les Daniel martyrs, on pourrait aussi ajouter Daniel de Padoue (†168 ou 304), Daniel, prêtre perse (†344), Daniel de Tibériopolis (†361) dans le Péloponnèse.

 

L’explication de Davies conduit au passage à relativiser l’idée d’une introduction par des pèlerins revenus d’Orient au Ve siècle sans pour autant l’invalider. Des pèlerins ont aussi pu le faire plus tôt, à la suite de l’évêque Méliton de Sardes qui s’était rendu à Jérusalem vers 170.

Et de conclure : « Ce phénomène chez les peuples de langue brittonique, qui se manifeste des deux côtés de la Manche, ressemble également à une coutume qui aurait pris racine avant l’achèvement des migrations britanniques en Armorique », ce qui implique que cette pratique a bien migré sur le continent, et au plus tard au VIe siècle, probablement durant la vague des années 540-550, la plus grande et donc la plus à même de porter des mœurs brittoniques même si, compte tenu de la fréquence et de la très longue durée des relations trans-Manche, ils ont pu nous parvenir sur plusieurs siècles.

 

Chédeville reconnaît cette introduction : « les Bretons ont introduit en Bretagne des noms d’origine celtique mais ils ont utilisé aussi volontiers des noms d’origine biblique qui furent toujours employés [Samson, Salomon, Aaron]. (…) Le plus utilisé est Daniel qui figure pendant plusieurs périodes parmi les noms dominants. Abraham, Jacob et Salomon sont aussi régulièrement mentionnés », considérant même ces noms celtiques et bibliques « comme propres aux Bretons » [89] Deshayes parle lui aussi du nom Daniel comme correspondant au saint gallois. Et pour le XIe siècle dans le Vannetais et le Nantais, Tonnerre note « également l’importance des noms bibliques, même s’ils ne forment que 10% des noms : Daniel, David, Simon ; c’est encore une caractéristique de l’influence celte. » [90]

 

 

Migration bretonne et permanence des noms

 

Autres points critiqués, l’introduction du nom par l’émigration et sa permanence, car alors :

- seuls les noms bibliques vétérotestamentaires auraient migré et pas les noms ethniques gallois,

- les noms bibliques utilisés aux Ve-VIe siècles seraient les seuls noms à avoir été transmis tout au long du Moyen Age alors que ce n’est pas le cas pour les noms ethniques bretons qui se sont renouvelés en permanence. Les noms du VIe siècle n’étaient pour la plupart pas utilisés au IXe et il y a eu aussi un renouvellement important des noms bretons entre les IXe et XIe siècles.

 

Cette étude ne porte que sur un seul nom et les autres ne sont évoqués qu’au passage. Les noms ethniques gallois ne sont pas discutés car ils n’entrent pas dans le sujet. Mais peut-être certains ont-ils migré aussi. La présence de plusieurs prénoms gallois devenus des patronymes français, la plupart présents presque uniquement en Bretagne, pourrait être un indice : Alis en Bretagne et Aquitaine, Bydan sous la forme Bidan dans les Côtes-d’Armor et Finistère, Amon (à rapprocher de Hamon) et Edern dans le Finistère, Allain, Bevan, Elain, Mabon, Caradoc sous la forme Carado, et Mabyn sous la forme Mabin dans le Morbihan.

Si certains noms bibliques – Marc,[91] Paul, David, Job sous la forme Jobic, également John, Jone et Jon sous la forme Jan – se concentrent de façon frappante presque uniquement au pays de Galles et en Bretagne, et que ce fut aussi le cas d’autres depuis disparus comme Anna, Eli, Israel, Mathias, Moise, il est vrai qu’il existe des contre-exemples, d’ailleurs rares, surtout présents au pays de Galles, mentionnés dans les textes brittoniques et pourtant absents de Bretagne comme Asser, Samuel et Zacharie.

Cela invalide-t-il nécessairement l’idée de la migration ? Les noms des exilés devaient-ils fatalement être présentatifs de l’anthroponymie galloise de l’époque ? Ils sont animés par la religion, une des premières choses qu’ils font en arrivant est de fonder des paroisses. Cela peut peut-être expliquer une préférence pour l’usage de noms tirés de la Bible.  

 

Concernant la permanence dans le temps du nom Daniel, et aussi de David qui semble avoir été introduit à la même époque et pour les mêmes raisons, je n’ai pas non plus d’explication. Mais une mode soudaine pour un anthroponyme au XIe siècle implique-t-elle nécessairement son absence depuis le VIe ? Qu’est-ce qui oblige à penser que les noms aient été intégralement renouvelés ? Ceux de l’Ancien Testament ont pu perdurer plus facilement parce que leur identité est plus forte du fait qu’ils font référence à des célébrités. Ce qui amène à envisager que le christianisme est un élément de la vie sociale davantage structurant et durable que l’ethnicité.  

 

L’idée de la permanence anthroponymique dans le temps long et la possibilité de déceler par la cartographie des traces de migrations du haut Moyen Âge sont aussi soutenues par Jean Le Dû, docteur d’Etat de celtique à la faculté de Brest, qui prend l’exemple du patronyme Le Saux : « Ce nom désigne en breton l'Anglais (Saoz, "le Saxon", gallois Sais). S'applique-t-il à des descendants d'immigrants venus d'Outre-Manche ou ce surnom a-t-il désigné des mercenaires au service d'armées anglaises en France ? Cette dernière hypothèse pourrait sans aucun doute expliquer un certain nombre de noms de ce type. (…) On serait tenté de retrouver ici un écho lointain de l'arrivée des immigrants d'Outre-Manche de la deuxième vague. L'hypothèse est séduisante, mais comment la vérifier ? » [92]

Idée appuyée par Gary German : « Jean Le Dû a proposé une hypothèse fascinante dans laquelle il postulait que les noms Le Saoz, dont les trois quarts se trouvent dans la région du Trégor, auraient pu être introduits lors de la colonisation brythonique de l'Armorique. La diffusion de ce nom dans la région correspond étroitement à un certain nombre de caractéristiques linguistiques communes au cornique mais inconnues dans les autres dialectes bretons. Étant donné le caractère conservateur des anthroponymes bretons, cette idée n’est pas aussi farfelue qu’elle peut paraître de prime abord. » [93]

Le Dû justifie d’autre part l’usage étendu qu’il fait de la cartographie des patronymes (vingt cartes sur cinq pages de l’article) : « L'onomastique constitue-t-elle une discipline à part entière ? Elle borde en effet la linguistique, l'histoire, l'économie, etc. Il serait intéressant que les géographes, dont l'originalité est justement de se situer aussi à un carrefour, donnent leur point de vue sur ce problème. »  

 

German mentionne aussi la permanence de certains noms entre haut et bas Moyen Âge : « Grâce aux nombreux témoignages précoces des cartulaires bretons (IXe-XIVe siècles), ainsi qu’aux témoignages parallèles trouvés dans la poésie des cynfeirdd (premiers poètes bardiques) et dans les généalogies bretonnes, cornouaillaises et galloises, ces noms appartiennent à une tradition ayant ses racines dans l’ère héroïque britannique. Il est donc probable que nombre de noms ont été à l'origine portés par les Brythons ayant émigré en Armorique entre le IVe et le VIIIe siècle. » Beaucoup sont des vestiges de l'ancien gallois du Canu Hengerdd, recueil de poèmes bardiques : « 90% des noms du Hengerdd ont survécu en grand nombre dans le sud-ouest de la Bretagne. Ils reflètent une tradition bardique remontant à l'époque où la Bretagne et le pays de Galles partageaient un héritage commun. » [94]

Il donne en exemple Talhouarn, un patronyme rare surtout présent dans le Morbihan, construit sur le brittonique iarn/hoiarn dont 95 occurrences apparaissent dans le cartulaire de Redon : « L’un des vestiges les plus remarquables des noms brythoniques contenant hoiarn [fer] est le nom de famille breton moderne Talhouarn (‘front de fer’), un nom apparenté à rien de moins que Talhaearn tad awen (Talhaearn, ‘le père de l'inspiration poétique’), l'un des principaux bardes de Bretagne qui est mentionné aux côtés d’Aneirin et de Taliesin dans l’Historia Brittonum de Nennius [IXe s.]. » Autre exemple, Cadoret, surtout présent dans le Morbihan et les Côtes-d’Armor, rencontré au IXe siècle dans le même cartulaire sous les formes Catuuoret et Catguoret (Cad ‘bataille’, guoret ‘protection’), assimilées à kad gwortho (‘protecteur des guerriers’), expression employée à propos du roi Urien de Rheged (490-586) dans le Livre de Taliesin du vie.

German présente aussi une liste de quatre-vingt patronymes actuels dérivés du vieux breton (Ve-XIe siècles) dont beaucoup ont peu évolué : Glémarec (vx br. Gleumaroc), Gourguen (Gourgan), Menguy (Maengi), Tanguy (Tangi), Cadec (Cadoc), Droniou (Druniou)… et certains même restés inchangés depuis le haut Moyen Âge : Urien, Brient, Cadiou, Conan, Mael, Guenn, Mabon.

 

 

 

VIII Autres hypothèses

 

 

Face aux énormes lacunes documentaires qui rendent souvent opaque l’histoire ancienne, il était envisagé dès l’origine de cette monographie que le matériau nouveau que représentent des cartes réalisées à partir de bases récentes mais fiables car exhaustives pourrait faire office de source supplémentaire et peut-être permettre de mieux distinguer certains phénomènes.

La possibilité de donner une cohérence à bon nombre d’informations a conduit à émettre une hypothèse qui m’a semblé alors hautement probable, et de le faire d’autant plus librement que non tenu par les règles universitaires, d’où les conjectures souvent poussées trop loin, surtout concernant l’introduction du nom dans le pays de Redon. Comme on le verra, c’était toutefois se contenter de trop peu d’éléments pour obtenir un résultat suffisamment réaliste, et même rester à la surface des choses.

Aussi, si les différentes critiques n’invalident pas fondamentalement la proposition dans ses grandes lignes, elles invitent tout de même à chercher d’autres explications après l’an mil au moment de la mode effectivement observée pour les noms de l’Ancien Testament. La carte du nom dans le grand Ouest pourra alors être vue en effet comme reflétant la situation de cette époque sans pour autant exclure qu’il y ait été introduit depuis l’île bien avant.

On verra aussi qu’élargir l’étude à plus d’une centaine de noms bibliques, sur une période beaucoup plus longue et des deux côtés de la Manche, amènera à relativiser considérablement la pertinence de l’idée de départ en apportant une multitude de nuances et de rompre ainsi avec son caractère par trop univoque.  

 

Les événements des XIe-XIIe siècles en Bretagne qui peuvent intéresser cette question, et donc le christianisme, sont nombreux, les plus visibles étant :

- le renouveau religieux qui commence par la restauration au début du XIe siècle des monastères pillés au Xe, - la réforme grégorienne entamée en 1059 et ses conséquences que sont notamment :

- la réactivation de la Paix de Dieu, le développement des pèlerinages déjà relancés à la fin du Xe et, à partir de 1095, les croisades en Terre Sainte,

- l’apparition de nouveaux courants : ermites, ordres monastiques au XIe siècle, puis mendiants au XIIe et prêcheurs au XIIIe.

 

Un rapide survol des acteurs et événements notables, avec comme premier fil rouge la prédication populaire, en vue d’apprécier en quoi ils ont pu peser sur le développement ou au contraire le reflux des noms, posera plus de questions qu’il n’apportera de réponses. Et si plusieurs auteurs abordent le sujet, très peu fournissent d’hypothèses.

 

 

Les ermites

 

Suite à l’exil des moines devant les incursions vikings au Xe siècle et en réaction à la décadence de ce qui reste du clergé, l’essor religieux est caractérisé en Bretagne dans la seconde moitié du XIe par le succès de l’érémitisme, considéré comme plus proche de la pureté et de la pauvreté évangéliques.[95] De plus, en imposant aux laïcs en 1075 de se déposséder de leurs biens religieux, la réforme grégorienne aboutit « à un enrichissement considérable du clergé. Elle allait en ce sens contre l’esprit évangélique de pauvreté et d’humilité »,[96] ce qui entretient le mouvement. Mouvement seulement freiné par le prestige montant des moines bénédictins qui s’installent progressivement à partir de 1024 à Rennes, et en fait éphémère car les ermites entrent ensuite en concurrence avec les moines cisterciens qui fondent dix abbayes dans le duché entre 1130 et 1145 et qui récupèrent finalement ce mouvement vers la pauvreté.[97]

« Les plus déterminés font assaut d’émulation, voire de surenchère : d’ermites, quelques-uns deviennent prédicateurs errants. » [98] C’est donc surtout fin XIe-début XIIe qu’ils ont pu jouer un rôle dans la prédication populaire. Mais combien sont-ils ? Quel est leur message ? leur niveau d’éducation ? Leur volonté de retour aux origines a-t-elle pu suffire à leur faire choisir ou à faire adopter des noms anciens ? voire les conduire en pèlerinage en Terre Sainte et d’en rapporter des éléments bibliques ?

 

 

Les nouveaux établissements religieux

 

À cette époque, les premiers moines à venir s’installer sont les bénédictins qui fondent dix abbayes entre 1024 et 1157, mais ils vivent cloîtrés et sont « plus soucieux du développement et de la gestion de leur temporel que de prêcher par l’exemple. »[99] Viennent ensuite les cisterciens qui en fondent treize entre 1130 et 1200 et apparaissent comme la forme la plus sage et la plus rassurante de la spiritualité du XIIe siècle. Le rayonnement de saint Bernard leur donne plus de prestige. Ils vivent pauvrement contrairement aux bénédictins, ne reçoivent pas d’églises et, selon leurs statuts de 1134, leurs monastères sont situés « dans des lieux à l’écart de la fréquentation des hommes ». Hervé Martin avance le chiffre de 400 de ces moines blancs en Bretagne.[100]

Si leur niveau d’éducation est élevé, ni les uns ni les autres ne prêchent – sauf les cisterciens à l’occasion des croisades – ne disent la messe ni ne sont en contact avec les masses, aussi peut-on difficilement attendre d’eux qu’ils popularisent les noms bibliques.

 

De ce point de vue les ordres mendiants présentent davantage d’intérêt car ils sont en contact étroit avec la population. Leurs précurseurs, les chanoines augustins, fondent treize établissements en Bretagne entre 1105 et 1302, et se développent surtout à partir de 1143. Ils n’ont qu’un faible rayonnement car ils ne font pas partie d’un ordre constitué, en revanche, étant par définition attachés au service d’une paroisse, ils reçoivent des églises et y disent la messe. Ainsi, « ils ont certainement contribué aussi à une meilleure christianisation des élites comme des humbles : en ce sens, par rapport aux Bénédictins traditionnels ou aux Cisterciens, ils peuvent être considérés comme des ‘proto-mendiants.’ (…) Dans le diocèse de Saint-Malo, fort d’environ 150 paroisses, près d’une quarantaine étaient aux mains des chanoines : nul doute que leur action pouvait être efficace dans le milieu rural. (…) Si la présence des Augustins est surtout sensible dans les campagnes grâce à leurs prieurés-cures, ils ont également joué un rôle dans le milieu ‘urbain’. » [101] Toutefois, comme le rappelle Chédeville, en plus de s’éloigner de l’idéal de pauvreté en devenant des rentiers de la terre, les augustins abandonnent bientôt le service paroissial à des prêtres séculiers (chapelains), par manque d’effectif et pour obéir au concile du Latran de 1179 qui interdit aux réguliers de vivre seuls à l’écart de leur monastère, même pour desservir des églises. A partir de 1232, les ordres mendiants constitués, mieux organisés et plus performants, relanceront l’idéal de pauvreté et l’idée de mission.

L’activité pastorale des augustins a donc surtout été sensible dans la seconde moitié du XIIe siècle à une époque où la mode pour les noms bibliques est au plus haut. Trois de leurs abbayes, celles de Guingamp (1130), Josselin (1160) et Broons (1163), sont dans une zone où les noms Daniel et David se trouvent en grand nombre dans la toponymie. Mais est-il possible pour autant d’y voir un lien ?

 

Les autres ordres mendiants ont également vocation à prêcher les masses. Dominicains et jacobins (frères prêcheurs) fondent quinze abbayes entre 1232 et 1300 ; franciscains et cordeliers (frères mineurs) en fondent dix entre 1232 et 1346. Ils sont « désireux de renouer avec la vie apostolique et de ramener l’Église, comme la société toute entière, aux exigences du christianisme primitif. » [102]

 

Selon Hervé Martin, « c’est en participant à la prédication des croisades et en rendant l’idéal de la croisade plus populaire auprès des Bretons au XIIIe qu’il ne l’avait été jusque-là, que les mendiants ont pu pénétrer dans notre région, en attirant sur eux l’attention de la haute aristocratie et en particulier des ducs », même si, à la fin du XIIIe, « l’implantation mendiante en Bretagne est nettement moins importante que dans le reste du royaume. » [103]

Les mendiants les plus éduqués sont « passés maîtres dans l’art de prêcher (…) leur action pastorale touche aussi les ruraux à l’occasion de tournées de quêtes dans les territoires qui dépendent de leurs couvents. » [104] Ils « se mêlent à la population non seulement des villes mais dans un assez vaste secteur géographique autour de leur résidence. Devant vivre d’aumônes et non de rentes, il leur fallait multiplier les quêtes leur permettant de récolter argent et plus souvent encore vivres. (…) Elles permettaient un contact et un véritable apostolat. Les religieux quêteurs quittaient leur ville et se répandaient dans toutes les campagnes bretonnes où ils devaient passer au moins une foi par an. (…) C’est en se mêlant personnellement à la vie pastorale et plus précisément au ministère paroissial que les mendiants exerçaient leur influence la plus profonde sur la population. (…) De nombreux chrétiens se rendaient dans leurs couvents pour se confesser. » [105] Ils prêchent dans l’église de leur couvent, mais aussi dans les églises paroissiales car le clergé séculier voit en eux des auxiliaires.[106]

 

Leur rayonnement est supérieur à celui des augustins surtout grâce à la prédication qu’ils assurent en trois langues et à leur niveau intellectuel remarquable pour l’époque, mais ils restent peu nombreux. Ils ne sont que 170 en Bretagne en 1300. Leur influence ne sera surtout forte qu’au XIVe et plus encore au XVe. En arrivant aussi tardivement en Bretagne, les mendiants ont-il pu y populariser des noms vétérotestamentaires alors que, comme on le verra, les noms de saints commencent à supplanter ces derniers au XIIe siècle ? On ne remarque d’ailleurs pas de correspondance particulière entre la répartition de l’ensemble des établissements religieux, tous ordres confondus, et celles des toponymes et anthroponymes construits sur le nom Daniel, et encore moins avec celle des toponymes sur David.

 

 

Le clergé paroissial

 

La décision de Grégoire VII en 1075 d’interdire les investitures cléricales par des laïcs [107] a visé entre autres à élever le niveau d’éducation du clergé. « Il ne pouvait être question de développer une vie chrétienne profonde dans la masse des fidèles, si le clergé paroissial et, avant tout à cette époque, le clergé rural n’était pas capable de répandre les vertus évangéliques par la parole et par l’exemple. Or, pour qu’il puisse le faire, on estimait indispensable de lui rendre son indépendance ou plus exactement de l’affranchir de toute tutelle laïque pour le soumettre aux seules autorités ecclésiastiques qui, pensait-on, se soucieraient davantage de sa formation et de sa qualification. » [108]

Si cette réforme a permis une meilleure éducation des évêques, au moins en ce qui concerne la lecture de la Bible,[109] ce n’est pas le cas du clergé paroissial qui ne semble pas avoir un bagage théologique lui permettant de familiariser ses ouailles avec les patriarches et les prophètes. « Trop souvent, les monastères avaient tendance à ne considérer les paroisses qui leur étaient attribuées que comme une source de revenus. En particulier, ils semblaient s’être totalement désintéressés de la formation du clergé qu’ils y envoyaient. » [110]

En 1178, dans son Livre des Manières qui dépeint la société féodale des trois ordres, Étienne de Fougères, évêque de Rennes (1170-1179), « manifeste un profond mépris pour le clergé rural. Il estime par exemple qu’il n'a pas besoin de faire d'études, ce qui n'est nécessaire que pour les moines. » [111]

Ainsi ce clergé reste très médiocre et sans instruction, et « aucune amélioration notable n’est sensible avant le XIIIe siècle. » [112] C’est pourtant au début du XIIIe que s’achève en Bretagne le transfert des biens religieux jusque-là détenus par les laïcs, transfert dont un des buts était justement l’élévation du niveau d’instruction du clergé qu’on devrait alors voir apparaître.

 

 

Les ordines

 

Au début du XIe siècle, dans le cadre de la Paix de Dieu qui vise à pacifier la société en l’ordonnant, on voit réapparaître le thème des ordines nés sous les Carolingiens suite au concile de Ver de 755, en distinguant cette fois, selon les Pères de l’Église Origène (†253) et saint Augustin (†430) et en puisant au livre d’Ézéchiel, trois types d’idéal de vie, chacun ayant un modèle dans l’Ancien Testament :

- les guides, prélats ou docteurs, c'est-à-dire les clercs (rectores), qui ont Noé pour prototype,

- les chastes, continents ou ascètes (virgines) qui ont Daniel pour patron,

- les mariés (conjuges) qui partagent le sort de Job.[113]

 

Avant de devenir le pape Innocent III en 1198, Lothaire de Segni, cardinal-diacre à l’église diaconique Saints-Serge-et-Bacchus (Rome), les reprendra dans son traité Les quatre sens du mariage.[114]

Elles nous apprennent qu’on fait alors davantage référence à la bible comme y encourage la réforme grégorienne, mais elles renvoient aussi à la Bretagne de façon prégnante. Sept siècles plus tôt, dans De Excidio Britanniae, Gildas (†565) avait déjà cité le passage du livre d’Ézéchiel mentionnant ces trois noms, et sur l’île, on rencontrait un Daniel, évêque de Kingarth (†660), son fils Noah (†675), et un autre Noah, abbé de Kingarth (†790) ; Noah est aussi mentionné dans les Bodmin Gospels du Cornwall au XIe siècle.[115] Au IXe siècle, Nennius évoquait également les deux premiers noms dans ses Âges du monde (cf. partie II).

Fin XIXe, le patronyme Le Noé est surtout costarmoricain ; les Nohé et Le Noay uniquement rencontrés dans le Morbihan. Job est particulièrement présent au pays de Galles dans les années 1880 et aujourd’hui encore au nord du Devon. La forme Jobic est même exclusivement bretonne.

 

Hasard, modes parallèles, liées ou pas, résurgences brittoniques à la faveur d’une réforme qui les réactive, ou adoptions à des époques différentes ? On peut s’interroger sur l’éventuelle influence de cette typologie dans l’adoption des noms auxquels elle fait référence.

 

 

Pèlerinages et croisades   

 

Les retours de pèlerinages et de croisades en Terre Sainte menés par les Bretons méritent une attention particulière car ils sont l’occasion d’un contact avec l’Orient favorable à l’introduction de noms bibliques.

 

Avec la fin de la piraterie musulmane dans la seconde moitié du Xe siècle et l’approche du millénaire de la mort du Christ (1033), le flot des pèlerins en Terre Sainte s'amplifie. Les conciles d'Arles tenus de 1037 à 1041 précisent les règles de la Trêve de Dieu et imposent le pèlerinage à Jérusalem aux chevaliers homicides pendant la trêve. En 1070, la fondation à Jérusalem de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, dans le but de soigner les pèlerins, expliquerait la diffusion de certains noms : « les cultes voués à la Vierge et à saint Jean-Baptiste, largement diffusés par les moines-guerriers de Saint-Jean-de-Jérusalem, favorisèrent un peu partout la grande vogue de Marie et de Jean. » [116]

 

Noël-Yves Tonnerre rappelle que « le pèlerinage le plus prestigieux était bien sûr celui de Jérusalem ; au début du XIe siècle, l’évêque de Nantes Gautier se rendit aux Lieux saints. La vénération pour le Saint-Sépulcre et la Croix paraît avoir été vive en Bretagne comme en témoigne la dédicace de l’abbaye de Quimperlé à la sainte croix. La prise de Jérusalem par les Turcs et l’interdiction des pèlerinages furent durement ressenties. Quand Urbain II lança de Clermont son appel pour la Croisade il rencontra, comme partout ailleurs, un vif écho. » [117]

Les Turcs seldjoukides avaient certes interdit les pèlerinages après avoir pris l’Anatolie aux Byzantins en 1071 et Jérusalem aux Arabes en 1078, mais ceux-ci se poursuivent néanmoins puisqu’on en compte six entre 1085 et 1092 sans que les sources mentionnent de difficultés particulières.[118]

Michael Jones précise « tous les principaux chroniqueurs de la première croisade mentionnent la participation des Bretons. Baudri de Bourgueil, archevêque de Dol (†1130), en remaniant avec imagination la Gesta Francorum, contribua grandement à l’historiographie de cette grande expédition et mit en valeur le contingent breton.[119] D’autres documents plus sobres montrent qu’il y avait un flot constant de croisés et de pèlerins du duché qui se dirigeaient vers l’Orient aux XIIe et XIIIe siècles, même quand il n’y avait pas de campagne importante en cours. » [120] De même, Georges Minois évoque la « popularité de la croisade : de nombreux seigneurs se croisent à la suite du duc Pierre Mauclerc en 1235. (…) Même engouement lorsque le duc Jean Ier Le Roux se croise en 1267 à la suite de saint Louis, et en 1300 lorsque Boniface VIII lance un nouvel appel. » [121]

 

Le duc de Bretagne Alain IV Fergent montre l’exemple dès 1096 en se croisant avec plusieurs vassaux : Hervé, fils de Guiomar, vicomte de Léon, Raoul de Gaël-Montfort, Alain sénéchal de Dol, Chotard d’Ancenis… Ils rentrent en 1101. Toutefois, « l’appel de saint Bernard pour la seconde croisade (1147-1149) eut peu d’écho ; aucun baron breton n’y participa, les troubles que connaît alors la Bretagne expliquent l’absence des seigneurs de la péninsule. » [122]

Après l’échec de la révolte des seigneurs bretons (1163-1174) contre l’emprise d’Henri II Plantagenêt sur le duché, la Palestine les attire à nouveau ; Guiomarch, vicomte de Léon, part avec son épouse à Jérusalem, André II de Vitré y va deux fois dont une fois pour la Troisième croisade (1189-1192), ainsi que Raoul II de Fougères et Raoul d’Aubigné.[123] Jones évoque le chroniqueur Rigord rapportant que quand Herluin, moine de Saint-Denis, prêche la croisade en Bretagne en 1198 il rencontre déjà une adhésion remarquable.[124]

 

Toutefois, selon Jean-Christophe Cassard, au XIIe siècle, « rien n’autorise à penser que les marins armoricains tiennent un rôle quelconque dans l’Orient latin ou même qu’ils y paraissent. » [125] Mais il s’agit-là des marins, et en effet, la plupart des Bretons s’en allaient pas terre et par rivière dans le Midi avant de partir en bateau pour la Terre sainte. Hervé Martin leur attribue également un rôle secondaire avant le XIIIe : « Aux XIe et XIIe siècles, la Bretagne n’avait eu qu’un rôle effacé dans les expéditions en Terre Sainte ; elle y prend désormais une place importante, fournissant des chefs aux armées chrétiennes. (…) En 1234, le pape Grégoire IX, inquiet de voir approcher la fin de la trêve conclue en 1229 avec les Sarrasins, envisage une nouvelle expédition en Terre Sainte et voit dans le duc de Bretagne, dont la régence va bientôt prendre fin, un chef possible. Les quêtes commencent en 1235. Les prédicateurs se répandent partout, les foules se déchaînent contre les juifs. » [126] Minois rappelle lui aussi que les appels à la croisade sont des moments de prédication et signale la présence des moines mendiants parmi les prêcheurs, donc au XIIIe siècle.

Les ordres religieux militaires y prennent aussi leur part en plus de leur mission principale de protéger les pèlerins. « Templiers et Hospitaliers semblent avoir ouvert la voie aux Mendiants en prêchant la croisade, en hébergeant des pèlerins et plus encore en diffusant le culte du Christ souffrant (…) en répandant aussi la dévotion à la Vierge, à saint Jacques de Galice, à saint Michel et à saint Jean-Baptiste. » [127] Les Templiers apparaissent en Bretagne vers 1130 (entre la première croisade et la deuxième) et y ont six préceptoreries ; les Hospitaliers après 1160, (entre la deuxième et la troisième) et y ont huit commanderies.

 

Malgré cela, Jones clôt ainsi son article : « en comparaison d’autres provinces de France, il faut conclure que la Bretagne resta au second plan et que l’influence des croisades sur le duché lui-même fut limitée et superficielle. »

 

On relève 121 Bretons croisés sur 175 ans entre la première croisade de 1095 et la huitième de 1270,[128] mais seulement 110 dont on connaît l’origine géographique : 34 sont de l’actuelle Ille-et-Vilaine (31%), 24 des Côtes-d’Armor (22%), 24 de Loire-Atlantique (22%), 16 du Finistère (14%), et 12 du Morbihan (11%). Aucune correspondance ne peut être faite avec la répartition des toponymes construits sur le nom Daniel qui sont en proportion près de deux fois plus nombreux dans les Morbihan et Côtes-d’Armor et deux fois moins en Loire-Atlantique et Ille-et-Vilaine.

21 se sont croisés au XIe siècle (18%), 22 au XIIe (18%) et 78 au XIIIe (64%). Ils sont donc deux fois plus nombreux à une époque où le nom commence à passer de mode.

Il arrive que des parents désignent un croisé comme parrain de leur enfant pour lui donner son nom, comme c’est le cas en 1106 avec le duc Boémond, fils de Robert Guiscard, sollicité par de nombreux pères de famille.[129] Or, si quinze croisés de cette liste (12%) ont un nom biblique – 6 Pierre, 5 Jean, 2 Thomas, 1 Adam et 1 Simon – aucun ne porte celui qui nous intéresse en particulier.

 

Authentiques ou pas, des éléments bibliques ont toutefois bien été introduits dans l’Ouest à l’occasion des croisades. De retour de deux expéditions à Jérusalem en 1170 (inter croisade) et 1191 (Troisième croisade), Maurice II de Craon, gouverneur d'Anjou et du Maine, prétend rapporter des fragments de la Vraie Croix, des pierres du calvaire et de Gethsémani, de la terre de la tombe de la Vierge, le marteau avec lequel le Christ avait été cloué et un grand nombre de reliques corporelles des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et d’autres personnages bibliques. Ces objets seront confiés au prieuré des Bonshommes de Ballots (sud de Vitré). Maurice de Craon aurait aussi obtenu l’ouverture du tombeau de la vierge Catherine sur le mont Sinaï en Égypte.[130]

De son côté, Riocus de Lohéac, mentionné par Orderic Vital pendant la marche de Nicée (1097), acquiert un morceau de la Vraie Croix et une pierre du Saint-Sépulcre qui sont solennellement déposés dans la chapelle du Saint-Sauveur de Lohéac (Ille-et-Vilaine) construite en 1081.[131]

 

À la question de savoir si des croisés ont pu à leur retour introduire des noms et faire naître une mode, Gabriel Le Bras répond par l’affirmative : « les croisades (…) ont suscité des noms bibliques, inauguré le cycle de la Passion et peut-être excité la dévotion inspiratrice de changements : puisque, en 1224, Lida devient Saint-Germain-en-Laye et en 1225, Nogent devint Saint-Cloud. Aucune région n’offre autant d’intérêt que la Bretagne pour l’étude de ces patronymes. » [132]

 

Ce serait le cas des noms chrétiens Christophe en Europe, et Antony en Angleterre,[133] auxquels on pourrait ajouter Jourdain, principalement rencontré en Seine-Maritime à la même époque. « A la suite des premières croisades, écrivait Gourvil, le nom de fleuve Jourdain, en Syrie, a désigné plusieurs personnages de romans. » [134]

 

Bien que non biblique, Nicolas, nom d’un évêque de Myre, en Lycie, sud-ouest de la Turquie (†325 ou 345),[135] serait à ranger dans la même catégorie selon N-Y. Tonnerre qui ne lui voit aucun culte en Gaule avant l’an mil mais une introduction directement depuis l’Orient, quand Foulques Nerra, comte d’Anjou (987-1040), fonde l'abbaye Saint-Nicolas d’Angers en 1021 à son retour de Jérusalem.[136]

 

C.M. Yonge évoque de façon intéressante le prophète Elie : « Quand les croisés visitèrent le mont Carmel fronçant au-dessus d'Acre, et virent l'église et les ermites qui l'entouraient, marquèrent l'endroit où le grand prophète avait prié et le ruisseau où il avait massacré les idolâtres, ils devinrent sans surprise dévoués à son nom, et Hélie devint très fréquent, surtout chez les Normands »,[137] d’où son adoption par Hélie Ier de la Flèche, comte du Maine (1093-1110).

Et de fait, sur la période 1891-1915, on trouve le patronyme Helie presque exclusivement en Manche, Calvados et Seine-Maritime, et Elie surtout en Seine-Maritime, Gironde et Calvados, ce qui rend probable l’influence de la première croisade.

 

Elle et d’autres sources attribuent la même origine à Catherine, du nom de Catherine d'Alexandrie, vierge et martyre (†312) dont des reliques auraient été apportées à Rouen en 1028 par Syméon de Trèves, moine du Sinaï, et déposées à l'abbaye bénédictine Sainte-Catherine du Mont. L’Ordre de Sainte-Catherine du Mont-Sinaï est fondé en 1067 pour éviter la profanation du monastère Sainte-Catherine du Sinaï et protéger les pèlerins qui s’y rendent. La commanderie des Templiers implantée à Nantes dans les années 1130 lui est vouée, et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en héritent. Son nom est mentionné pour la première fois en Angleterre en 1196.[138] Le lien entre Normandie et Orient semble là encore validé par la répartition du patronyme Catherine à la fin du XIXe siècle, surtout présent, et de loin, dans le Calvados et la Manche.

 

Les cas de Elie et Catherine peuvent-ils s’appliquer aussi à Daniel et David, et les croisés bretons avoir été les seuls à s’y intéresser comme les Normands semblent avoir été les seuls à s’intéresser aux premiers ? Car une différence les distingue, Deiniol et Dewi sont des saints gallois. Leur introduction est-elle alors aussi probable, voire plus, par les croisades que depuis le pays de Galles qui est bien plus proche ? Notons aussi que le mot croisade est totalement absent de l’étude de J.R. Davies consacrée à l’usage de ces noms chez les Brittoniques jusqu’au XIIe, de celle de Gary German concernant les mêmes peuples sur une période plus longue et de celle de Prys Morgan sur les noms gallois depuis 1100. La piste semble donc douteuse même si rien n’interdit deux introductions séparées de plusieurs siècles.

 

Ajoutons qu’à la même époque, la conquête de l’Angleterre par les Normands a aussi une influence sur l’anthroponomie y compris biblique. Selon McKinley, des noms bretons « alors courant en Bretagne ont été apportés par le considérable contingent breton parmi les suiveurs du Conquérant. Ils incluaient Alan et Brian (…) source de noms tels que Allen, Bryan, Briant (…), et des noms bibliques tels que Jean, Thomas, Adam qui étaient en usage en France à cette époque devinrent plus courants en Angleterre après 1066, après avoir été rares dans le pays. » [139] De façon similaire, l’usage de nommer d’après des saints se serait répandu en Angleterre par l’invasion normande.[140]

 

 

Les mystères

 

Au xe siècle, le mystère, genre théâtral religieux, se développe en Europe occidentale pour agrémenter la liturgie et s’inspire de vies de saints, miracles, sujets bibliques et, de façon récurrente, de la Passion du Christ. Evoquant l’Angleterre du temps des croisades, Kay M. Sheard signale que « les noms bibliques de l'Ancien Testament et les noms du Nouveau Testament qui n'étaient pas portés par des saints, étaient rares, à l'exception de ceux qui figuraient dans les Mystères, tels que Abel, Daniel, Sampson, Adam et Eve. » [141] Toutefois, l’auteur ajoute : « dans l’ensemble, les noms de l’Ancien Testament de cette période étaient uniquement portés par la communauté juive », ce qui est très douteux pour le pays de Galles et ne correspond pas à la situation en Bretagne.

Cassard pose aussi la question à propos d’un Juiff rencontré à Loqueffret dans le Finistère en 1426, « son premier porteur était-il un fils d’Israël, un converti installé à demeure, ou plutôt un acteur qui avait tenu de façon assez remarquable le rôle du juif lors de la représentation d’un mystère théâtral ou d’une Passion vers la fin du Moyen Âge ? » [142]

Certains paroissiens auraient ainsi pu adopter ces noms et des comédiens conserver celui du personnage qu’ils avaient interprété. Mais les mystères n’ont rien de spécifiquement breton ni gallois, leurs premiers manuscrits sont retrouvés à Limoges en 934 et à Winchester en 975, et ceux joués en Bretagne semblent avoir été surtout nombreux en fin de période médiévale.

 

 

La réforme baptismale

 

Pour une compréhension plus fine de l’anthroponymie bretonne du Moyen Âge central, plusieurs études spécialisées de Pierre Yves Quémener sont ici particulièrement éclairantes, notamment sur les dénominations et les baptêmes, sujets absents d’ouvrages plus généraux d’histoire religieuse de la Bretagne.

A partir du XIe siècle, les enfants ne sont plus baptisés seulement à Pâques et à la Pentecôte comme Charlemagne l’avait décidé en 789. « A cause du péril auquel le différé du baptême exposait les enfants, à savoir l’impossibilité de l’accès au paradis, l’Église autorisa finalement les cérémonies effectuées quelques jours seulement après la naissance. (…) Par contre, il n’était pas envisageable d’attribuer un nom de saint à un enfant qui n’était pas baptisé : c'est ce qui explique pourquoi on trouve si peu de noms de saints dans les cartulaires avant le XIe siècle. (…) » Et d’en déduire : « La christianisation du stock onomastique débute directement avec l’arrivée de Jean dans la liste aux alentours de 1130. On peut penser que la généralisation du baptême des nouveau-nés date seulement de cette époque en Bretagne. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle nous trouvons chez nous autant de Daniel préfiguration du Christ jusqu’à cette date. » [143]

 

Dans le même sens, Jean Chélini indique qu’aux XIe-XIIIe siècles, notamment avec les franciscains, « un christianisme plus évangélique se substituait peu à peu aux structures mentales façonnées par l’Ancien Testament depuis les Carolingiens. » [144]

 

Dans sa thèse sur les noms de baptême en Bretagne au Moyen Âge,[145] P.Y. Quémener montre que, dans le cartulaire de l’abbaye de Redon, le nom Daniel – le seul biblique parmi les vingt les plus cités – est très peu mentionné dans les actes du IXe siècle mais devient très fréquent dans ceux des XIe-XIIe, et que dans le celui de l’abbaye de Quimperlé – où il est également le seul biblique parmi les dix les plus cités aux XIe-XIIe – il arrive en quatrième position des plus populaires, ce qui l’amène à penser que c’est à ce moment-là qu’il a émergé en Bretagne. « Jusqu’au XIIIe siècle, les noms de patriarches et prophètes constituaient la principale alternative religieuse aux noms ethniques. Ils seront abandonnés au moment de la levée du tabou onomastique qui pesait sur les noms de saints. La réforme protestante leur donnera toutefois une nouvelle jeunesse au XVIe siècle. » Dans une autre étude, il ajoute qu’en matière de dénomination il est « possible que le développement des échanges avec le monde byzantin, où les pratiques étaient totalement différentes, ait favorisé l’évolution des mentalités occidentales »,[146] et donc l’adoption de noms du Nouveau Testament.

Si les contacts avec l’Orient sont une des raisons de l’essor des noms vétérotestamentaires aux XIe-XIIe siècles, il faut donc, et de façon contre-intuitive, y voir aussi et surtout une cause de leur recul, car en favorisant l’adoption de noms des deux Testaments les croisades permettent à ceux du Nouveau d’entrer en concurrence avec ceux de l’Ancien et de les supplanter presque aussitôt.

 

Les noms bibliques représentent environ 5% des noms en Bretagne en 1000-1050, autour de 6% en 1130-1190, et encore entre 5 et 6% en 1250-1280, les quatre principaux noms de ce type étant Daniel, Abraham, Jacob et Salomon. Parmi les noms dominants toutes origines confondues sur la période 1050-1220, Daniel est présent parmi trois autres au XIe siècle, parmi dix autres au XIIIe, et toujours comme unique nom de l’Ancien Testament.[147] Au XIIe siècle, il est encore le deuxième nom le plus fréquent dans le Nantais et le troisième dans le Vannetais [148] mais il disparaît de la liste des noms dominants en Bretagne après 1220.

Sa mode aurait ainsi existé principalement aux XIe-XIIIe après une popularité faible au IXe. Mais là aussi, pas de contradiction avec sa présence beaucoup plus tôt. L’absence de cartulaire avant l’an 800 empêche de démontrer le contraire. Si les premières vagues ont pu être recouvertes par les suivantes – de même que les créations de nouveaux toponymes ne font pas disparaître tous les plus anciens – ont-elles été nécessairement réduites au point de ne laisser aucune trace ?

 

Le phénomène est d’ailleurs général. En Occident « au XIIe siècle, période durant laquelle on observe un certain déclin des prénoms d’origine germanique et une forte montée des prénoms bibliques et gréco-latins, on voit (…) se multiplier les Samson, les Barthélemy et les Matthieu. » Et en Angleterre, « les XIIe et XIIIe siècles voient s’accentuer l’influence ecclésiastique et se répandre les prénoms bibliques et chrétiens. C’est le moment où John, Peter et Andrew prennent leur essor, de même que Margaret, Ann, Elizabeth et Agnes »,[149] ce qui dans ce dernier cas peut aussi être un résultat de la réforme grégorienne.

J.R. Davies observe également un renouvellement des noms chez les Gaëls en lien avec la Bible et qui les distingue des Anglais : « Vers le milieu du 12e siècle, conformément aux tendances observées dans toute l'Europe, il y a une explosion apparente en Irlande et Écosse de noms personnels inspirés par l'histoire biblique des Israélites. (…) une nouvelle gamme de noms personnels est apparue en Irlande à partir du 11e siècle, principalement spécifiquement chrétienne, incluant des noms de l'Ancien Testament et des noms de héros épiques, et en Écosse, un nombre et une gamme considérables de noms de l'Ancien Testament apparaissent aux 12e et 13e siècles. Parmi les Anglais, les noms de l'Ancien Testament se trouvaient très rarement après la conversion. » [150]

Déjà proprement brittonique au haut Moyen Âge, l’usage des noms vétérotestamentaires s’étend ainsi aux pays celtiques au Moyen Âge central, époque où justement leur littérature connaît un renouveau.

 

 

Le renouveau celtique des XIe-XIIe siècles

 

Cette littérature, légendes et chansons, comprend en particulier l'Historia Regum Britaniae (1138) de l’historien gallois Geoffroy de Monmouth dont la mise en roman par le poète normand Wace dans Roman de Brut (1155) lance la vogue de la légende arthurienne et forme la matière de Bretagne diffusée entre 1150 et 1250 par des jongleurs gallois et armoricains.

œuvre de propagande pour asseoir la légitimité des Plantagenêts en faisant remonter l’histoire de l’île jusqu’à Brutus de Troie, cette matière est aussi un instrument d’ingérence sous couvert de communauté culturelle : le duc Conan IV règne depuis 1156 sous la tutelle d’Henri II qui dirige de fait le duché dès 1166 avant d’y placer son fils en 1181. Et la proximité de culture montre ses limites en 1187 quand, soutenue par les seigneurs bretons, la duchesse Constance donne à son fils le nom du roi Arthur, héros de Geoffroy de Monmouth et de Wace, et rencontre alors l’opposition du roi d’Angleterre, grand-père de l’enfant, qui aurait préféré qu’on l’appelle Henri.

 

Tonnerre évoque le rayonnement de la littérature brittonique et la mode des noms qui l’accompagne : « Trouvant ses racines dans l’univers tumultueux du haut Moyen Âge, voire de l’Antiquité, les traditions orales des anciens Bretons ont alimenté après l’an mil une littérature épique, prophétique, fabuleuse. Sans aucun doute, l’apparition d’une notation bretonne à la fin du IXe siècle ou au début du Xe a favorisé l’essor de cette littérature orale (…) Dans l’onomastique bretonne on assiste au succès d’Olivier, et de Roland, mais aussi d’Arthur. »[151]

Chédeville place aussi Oliverius parmi les noms dominants de la période 1190-1280.

 

La patronymie du XIXe siècle paraît encore fortement marquée par cette matière, commune aux seules deux Bretagne. A cette époque, c’est de loin dans les Côtes-d’Armor et le Finistère qu’on trouve le plus d’Ollivier. Olivier, arrive en tête en Loire-Atlantique, après le Nord. Les Olivo se rencontrent surtout en Morbihan, Côtes-d’Armor et Finistère, et la variante Olier principalement dans le Finistère. Outre-Manche, Olive se trouve surtout dans le Devon.[152] Rolland est fortement présent dans toute la Bretagne, surtout Finistère et Côtes-d’Armor, et dans le Merionethshire au nord du pays de Galles. Les Arthur et Artur sont les plus nombreux en Ille-et-Vilaine et Côtes-d’Armor, et les Arthur dans le Cornwall et le Glamorgan. Lancelot, chevalier de la Table ronde et personnage du roman courtois de Chrétien de Troyes (1181), est avant tout dans le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine, de façon très localisée dans le Gloucestershire au sud-est du pays de Galles et la forme aphérétique Lott dans le Devon. Enée, personnage du Roman de Brut, se concentre presque uniquement dans la Manche et on trouve sa forme apocopique Ene dans le Devon et au nord-ouest du pays de Galles.

 

Des références bibliques sont également présentes dans cette matière de Bretagne. Galaad, fils de Lancelot et Ellan dans les romans de Chrétien de Troyes est, dans la Bible, un descendant d’Isaac et Jacob. Le choix de ce nom vise à assimiler les récits biblique et arthurien par paronymie avec Perceval of Gales, l’autre conquérant du Graal.[153] Dans Estoire del saint Graal (v. 1230), Galaad est cette fois un descendant de Nahshon qui se trouve aussi être un ancêtre du Christ, cinq générations avant David. L’oncle de Galaad s’y appelle Eliezer, nom d’un autre ancêtre du Christ, quatre générations avant lui, et fils de Eliud.

Estoire dou Graal ou Joseph d’Arimathie (fin XIIe), de Robert de Boron, présente le Graal en relique chrétienne : le Saint Calice. Les deux gardiens du Graal y sont Joseph, fils du Joseph d'Arimathie du Nouveau Testament, et Bron, parfois écrit Hebron dans le même texte, petit-fils de Lévi et oncle de Moïse et Aaron dans l’Ancien.

 

Prys Morgan signale le cas d’une famille de Swansea, dans le West Glamorgan, qui change de patronyme de génération en génération, alternant entre les noms biblique et arthurien Jeremiah et Lancelot, avant de se fixer sur Lancelott dans les années 1730, puis définitivement sur Lott au début du XIXe siècle.[154]

 

On voit ainsi le monde celtique rejoindre celui de la Bible, mais aussi celui de l’Orient. En route pour la Troisième croisade en 1191, Richard Cœur de Lion rencontre Tancrède de Lecce, roi normand de Sicile, et conclut les fiançailles entre la fille de ce dernier et son neveu Arthur, futur duc de Bretagne âgé de cinq ans. Il lui donne à cette occasion l'épée Excalibur du roi légendaire contre les navires dont il a besoin pour rejoindre Tyr au Liban.

 

 

La Réforme protestante

 

Le Synode de 1562 tenu en Suisse à Neuchâtel recommande aux protestants de choisir des prénoms de l’Ancien Testament. Cela a en effet été le cas dans l’est de la France. Ainsi, l’introduction de la Réforme à Strasbourg « a entraîné une importante mutation dans le choix des prénoms. Les noms de baptême évoquant les saints du Moyen Âge tendent alors à se raréfier, tandis que se multiplient les prénoms bibliques : Jacob, Jérémie, Ézéchiel, Jonas, Rachel, Rebecca, Abraham, Daniel, Tobie, Esther, etc. Jean-Pierre Kintz rapporte qu’entre 1601 et 1604, 8% des enfants baptisés à Strasbourg étaient prénommés Daniel ou Jacob. » [155]

Toutefois, « le protestantisme ne fait qu’effleurer la Bretagne : elle est l’une des provinces du royaume où le phénomène est le moins marqué. » [156] Même si des troubles liés à la Réforme sont rapportés en 1534 à Morlaix puis à Dinan, mis à part Hennebont et Pontivy, elle s’est surtout cantonnée à la noblesse et à la bourgeoisie urbaine de Haute-Bretagne à partir de 1560, notamment à Rennes, Vitré, Nantes, Blain... En 1650, on ne compte guère plus d'un millier de protestants en Bretagne.

Si leur influence est possible sur les prénoms, elle paraît douteuse sur les patronymes dont la fixation est déjà très avancée au XVe siècle. On imagine mal qu’elle ait pu grossir significativement le nombre des Daniel et David, pour prendre ces seuls exemples, très présents depuis longtemps comme le montre la centaine de toponymes afférents en Ker-, Lan-, -erie, Ty-, Loc-, Ville-, -ais, tous créés entre le Xe et le XIIIe siècle, et de surcroît situés plus à l’ouest que la plupart des bastions protestants.

 

 

Puritanisme et non-conformisme

 

En revanche, la Réforme est la principale raison avancée pour expliquer au XVIe siècle la présence de noms bibliques en Angleterre dont le pays de Galles fait partie intégrante depuis 1536. Dans le cadre du mouvement puritain qui cherche à épurer l’Église anglicane en réaction au règne de la catholique Marie Tudor (†1558) et au Règlement élisabéthain de 1559 qui laisse encore de la place au catholicisme, les Gallois font un usage identitaire de la Bible enfin publiée dans leur langue en 1588 pour y puiser de préférence des noms de l’Ancien Testament à une époque où les patronymes ne sont pas encore fixés. Le nom Daniel devient soudain à la mode alors qu’il était quasiment absent au XVe siècle, contrairement à Dafydd/David qui représentait alors 11% des prénoms du pays de Galles et jusqu’à 15% dans le Powys Wenwynwyn, au nord de l’actuel Powys.[157]

 

En réaction à l’Acte d'uniformité de 1662, apparaît ensuite le mouvement non-conformiste, particulièrement vif au pays de Galles « probablement à cause de l'influence puritaine. Samuel, Daniel, Elias, Isaac, Jacob et Abraham sont devenus des noms de baptême assez communs ; et, comme les noms de famille dans de nombreuses régions n'étaient pas encore fixés pendant la période d'influence puritaine, de nombreuses familles ont pris ces noms de l'Ancien Testament. Dans le Monmouthshire, par exemple, il existe un nombre considérable de familles appelées Jeremiah. Dans le Cardiganshire, où la dénomination a eu lieu très tard, on trouve, en plus des noms bibliques mentionnés, des noms tels que Levi, Shadrach, Jehu et Benjamin. » [158]

 

Impulsé par des méthodistes calvinistes gallois, le mouvement réapparaît dans les années 1730 en partie en réaction à la négligence ressentie par l’absence des évêques et du clergé. Il est exacerbé en 1847 par la publication des Blue Books, rapports parlementaires qui dénigrent la population galloise, grossi par le Methodist Revival de 1859 conduit par des prédicateurs du Cardiganshire, et atteint son apogée dans les années 1880. Lors du dimanche du recensement religieux de 1851, les 2.813 chapelles galloises sont fréquentées à plus de 80% par des non-conformistes alors que c’est le cas de la moitié des fidèles à l’échelle nationale. Merthyr Tydfil, Aberdare, Neath (Glamorgan) et Llanelli (Carmarthenshire), toutes au sud du pays, sont les places fortes du mouvement.[159]

Aux noms déjà mentionnés s’ajoutent des Emanuel, Enoch, Gabriel, Joseph, Moses, Solomon... avec une incidence particulièrement élevée au sud-est du Carmarthenshire et dans le West Glamorgan limitrophe où le taux maximal est observé à Llangyfelach au nord de Swansea. « Il semble que la raison de la concentration géographique au sud est davantage liée aux différences confessionnelles avec le nord qu'au niveau de non-conformité global. » [160] Les méthodistes calvinistes (35% des non-conformistes en 1882), surtout présents au nord et bien que séparés de l’Église anglicane en 1811, continuent de privilégier les noms du Nouveau Testament ; les indépendants (ou congrégationalistes) et les baptistes, (56% des n-c), majoritaires au sud, préfèrent ceux de l’Ancien.

 

 

 

les patronymes tirés de l’Ancien Testament au pays de Galles au milieu du XIXe siècle

(sauf Daniel et Adams

 

 

A cette époque, deux mouvements contradictoires sont donc en œuvre : l’un, entamé au XVe siècle [161] et seulement achevé courant XIXe, de fixation des noms de famille ; l’autre, de création d’un grand nombre de noms vétérotestamentaires, dont certains deviennent patronymes, et seulement limité par la fixation en cours.

On peut craindre alors que leur répartition à la fin du siècle renvoie une image trop partielle et déformée des premiers temps de la fixation pour permettre d’envisager un lien entre certaines fortes concentrations et leur proximité géographique avec celles de Bretagne en argument d’une migration à une époque encore plus ancienne. Mais ces créations tardives ne constituent pas nécessairement un biais rédhibitoire car il s’agit pour beaucoup de reprises de noms qui s’y trouvaient déjà au haut Moyen Âge comme Daniel, Elias, Enoch, Isaac, Jacob, Joseph, Moses, Samuel, Solomon. Surtout, les autres peuvent être connues par leur absence totale en Bretagne. Au pire, l’ensemble de ces créations augmente le nombre des noms déjà présents anciennement et occasionne surtout leur surreprésentation au sud comme on l’observe de façon récurrente depuis le début de cette étude.

Ainsi, les Absalom, Amos, Benjamin, Ebenezer, Esau, Esther, Gabriel, Habakkuk, Jehu, Jeremy, Jonah, Joshua, Levi, Mordecai, Sarah, Shadrach, Tobias...[162] à la fois absents des écrits brittoniques, absents de Bretagne, même sous leurs variantes françaises, et très présents au pays de Galles sont certainement des créations exclusives des époques puritaine et non-conformiste, ce qui répond au moins en partie à la question de pourquoi certains noms ont pu migrer en Armorique et pas d’autres.

 

Ceux de cette dernière série appartiennent à des personnages de différentes époques de la Bible mais globalement plus récents que ceux rencontrés chez les Brittoniques. Ces derniers employaient les noms d’une dizaine d’ancêtres du Christ alors qu’on n’en trouve aucun dans les créations strictement puritaines et non-conformistes :

Benjamin, Esau et Levi fils de Jacob ; Mordecai et sa cousine Esther, de la tribu de Benjamin ; Tobias époux de Sarah ; Joshua, proche de Moïse (frère de Aaron, oncle d’Ithamar) et contemporain d’Isaïe le père de David ; Absalom fils de David et donc frère de Salomon ; Jéhu, un roi d’Israël du IXe siècle ; Amos, Habakkuk, Jonah petits prophètes ; Jérémie, grand prophète, contemporain de deux autres Ezéchiel et Daniel ; Shadrach, personnage du Livre de Daniel ; Gabriel, autre personnage du Livre de Daniel qui s’adresse à Zacharie le frère d’Asaph également saint patron gallois.

 

 

Conclusion

 

Plusieurs des événements survolés dans le cadre de l’essor religieux des XIe-XIIe siècles ont visiblement créé un climat favorable à l’adoption de noms bibliques en France et en Occident.

Si dans cet ensemble il reste difficile de distinguer des points saillants, les croisades, par leur contact avec l’Orient, semblent néanmoins être un vecteur privilégié dans l’introduction de noms vétérotestamentaires en Bretagne. Même si les croisés bretons sont deux fois moins nombreux aux XIe-XIIe siècles qu’au XIIIe, c’est sans doute en début de période et même à l’époque de la Première croisade de 1095-1099 que le phénomène a le plus de chance de se produire car ensuite les noms de l’Ancien Testament régressent au profit de ceux du Nouveau. Toutefois, les chances que les croisades aient pu introduire le nom Daniel paraissent faibles.

 

A part les chanoines augustins qui ont pu jouer un rôle au XIIe siècle, les ordres nouveaux, mendiants puis prêcheurs, parfois ermites reconvertis, pourtant a priori les plus à même de favoriser leur adoption car voués pleinement à la prédication des masses, semblent arriver trop tard pour y participer. La forte orientation de la ferveur vers les origines, comme le montre le succès de l’érémitisme, a aussi pu pousser à adopter des noms de ce type.

 

Au pays de Galles, l’étalement sur une longue période, du XVe au XIXe siècle, de la fixation des noms, l’existence de plusieurs modes successives et, principalement au sud, la création tardive de patronymes vétérotestamentaires doivent rendre très méfiant dans l’interprétation des concentrations d’homonymes observées en proximité de chaque côté de la Manche, ce qui n’empêche pas que de tels rapprochements soient parfois possibles.

 

L’hypothèse initiale d’une migration de certains noms au haut Moyen Âge, qu’aucun argument fort ne vient invalider, semble toutefois toujours envisageable – mais cette fois parmi d’autres – et paraît même sensiblement renforcée par les travaux de Davies, German, Le Dû, Chédeville, Deshayes et Baring-Gould.

Celle d’une introduction précoce par des pèlerins brittoniques de retour d’Orient ne paraît pas non plus pouvoir être écartée. Si elle n’est pas évoquée par ces trois universitaires, en revanche Cornou, Giot, Nankivell, Susser, Gautier, Hartwell Jones et surtout Jérôme de Stridon signalent bien des relations entre les Britons et la Méditerranée orientale à une époque où les pèlerins insulaires sont déjà nombreux.

 

Si on exclut l’idée de la migration trans-Manche, celle de canaux particuliers, propres à chaque rive, de diffusion des mœurs fait peut-être partie des pistes à approfondir. Et dans ce cas, s’agissant du nom Daniel, faut-il supposer une réaction à la décadence du Xe siècle par un retour aux sources du christianisme à la façon des ermites de même que les Gallois du XVIe avaient réagi au catholicisme en adoptant ce nom, voire simplement envisager qu’après avoir été introduit en Armorique à une époque ancienne, il a pu être en quelque sorte réactivé en Bretagne dans le contexte général favorable du renouveau religieux d’après l’an mil ?

 

 

W

 

 

Pour terminer, sans doute provisoirement, il faut ajouter le point de vue qu’a bien voulu donner Pierre Yves Quémener sur ces résultats ce dont je le remercie grandement. Son éclairage est en effet du plus grand intérêt, d’une part car c’est un spécialiste de l’anthroponymie bretonne médiévale dont il a fait son sujet de thèse de doctorat, d’autre part car ses conclusions au stade actuel sont on ne peut plus éloignées de celles présentées ici.[163]  

En voici un résumé pour la partie qui nous intéresse. 

Les noms vétérotestamentaires du haut Moyen Âge sont principalement des noms de clergie, portés par de hautes personnalités religieuses et donc en nombre extrêmement faibles. Très peu présents chez les masses au IXe siècle comme le montrent les cartulaires, quoi que l’absence de document avant l’an 800 rend ce point encore obscur, ils se répandent entre le IXe et le XIIe siècle, dans la période où les noms composés – du type Iarnuuocon, Conuuoion… – sont remplacés par les noms entiers.

Ces deux phénomène seraient liés à un troisième : la généralisation du baptême des enfants qui dépasse progressivement celui des adultes et, conséquence du concile de Rouen de 1072, la concomitance enfin accordée entre naissance et baptême qui oriente en partie vers des noms de ce type. Du fait d’une mortalité infantile importante,[164] les parents font en effet pression sur le clergé pour que les enfants soient baptisés quam primum (dès que possible) afin de sauver leur âme. Précédemment, les baptêmes étaient collectifs et, depuis le VIIIe siècle, célébrés à la vigile de Pâques ou à celle de la Pentecôte. Le laps de plusieurs mois entre naissance et baptême rendait improbable le choix d’un nom biblique et les enfants conservaient le nom familial donné à leur naissance.

Les noms de saints restant réservés au clergé, se sont surtout ceux de l’Ancien Testament qui sont choisis d’où la mode observée pour les Daniel, Abraham, Jacob, Salomon, David L'auteur voit même dans l’apparition de ces noms un indice de la généralisation du baptême des enfants, laissant entrevoir qu’auparavant en Bretagne un grand nombre d’entre eux ne l’étaient pas. Dans ce contexte, la popularité particulière du prophète Daniel est liée à la mortalité en bas âge du fait qu’il est « une préfiguration du Christ car tout comme lui, il ressortit vivant d'un lieu qui aurait dû être sa tombe. » Son nom a donc une « fonction augurative » de nature à assurer la survie de l’enfant. On peut se demander au passage si la mode pour les noms Salomon et David s’explique par le fait qu’ils sont ceux de personnalités parfois vues elles aussi, sans doute dans une moindre mesure, comme des préfigurations du Christ.

A partir du XIIe siècle, la levée du tabou sur les noms de saints, possiblement facilitée par une influence des croisades, conduit à préférer les noms du Nouveau Testament au détriment de ceux de l’Ancien au point qu’en Bretagne au XIIIe Daniel ne fait plus partie des noms dominants et que Jean le remplace.

 

Ce qui donne la suite de causes/conséquences : baptêmes collectifs > baptêmes à deux moments dans l’année > noms familiaux et risque de décès avant le baptême > pression des parents pour un baptême à la naissance > XIe siècle, concomitance naissance/baptême > noms de baptême tirés de l’Ancien Testament jusqu’au XIIe siècle.

 

Il est particulièrement frappant que sur un même sujet P.Y. Quémener trouve des explications totalement différentes de celles exposées ici et, de plus, sans en utiliser aucun des éléments. Il écarte en particulier la notion d’introduction des noms bibliques en Armorique et plus encore en Bretagne insulaire depuis l’Orient, ces noms devant déjà faire partie du stock propre au monde celtique depuis le début de la christianisation comme le laisse d’ailleurs supposer J.R. Davies. La prédication des ordres religieux et la réforme grégorienne ne lui semblent pas non plus opérantes dans le processus, l'iconographie, notamment celle des porches des églises et des cathédrales, pouvant servir à familiariser les parents avec les prophètes et les patriarches. De même, il ne croit pas à une influence déterminante des croisades.

Les deux méthodes sont également différentes. La sienne, anthropologique, détermine les fonctions des pratiques pour en définir les motivations et explore en profondeur ; celle utilisée ici, davantage historique, rassemble des faits comme autant de pièces d’un puzzle venant compléter l’intuition de départ et reste plus en surface.

 

Ses résultats remettent ainsi singulièrement en question l’approche de cette étude et mettent en garde contre la tentation de construire trop rapidement des hypothèses à partir de quelques indices visiblement cohérents, ce qui est d’ailleurs autant intéressant que déstabilisant. Cet éloignement illustre sans doute aussi l’énormité des lacunes documentaires sur une longue période et les trop grandes possibilités laissées ainsi à chacun pour les combler. Il montre également la complexité du sujet et la nécessité de creuser très loin pour en voir la plupart des tenants.

 

 

 

 

 

 


 

Sources et notes

 

[1a] On peut trouver une justification et un intérêt à cette liberté de recherche chez Bernard Merdrignac : « La validité n’est pas nécessairement la qualité première d’un raisonnement. Une autre qualité essentielle de celui-ci est d'être productif, c'est-à-dire de permettre de former des hypothèses, d'orienter la recherche […] vers des voies dont la validité n'est pas assurée, mais qui ont de meilleures chances de rapprocher de la solution que de ne rien faire », in D’une Bretagne à l’autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, PUR, 2012, p.11, tiré de Didactique de l’histoire, Henri Moniot, 1991, p.91, qui la tient lui-même du Grand dictionnaire de la Psychologie, 1991, p.12

[1] Répartition des naissances de 1966 à 1990 en % de la population de chaque département et valeurs brutes, d’après les données de l’INSEE utilisées sur www.geopatronyme.com

[2] Les deux départements perdent des habitants entre les années 1910 et les années 50-60. Les Côtes-d'Armor en perdent plus de 139.000 entre 1866 et 1962, soit 22% en moins d’un siècle, alors que le Morbihan connaît une hausse continue jusqu’en 1911.

[3] Les noms racontent la Bretagne, Michel Prizias, Ki-Dour Editions, 1999, p.59

[4] Dictionnaire des noms de famille bretons, Albert Deshayes, Le Chasse-Marée/ArMen, 1995, p.114

[5] Dictionnaire étymologique des noms et prénoms, Albert Dauzat, Librairie Larousse, 1987

[6] Dictionnaire des noms de famille bretons, Albert Deshayes, Le Chasse-Marée/ArMen, 1995, p.43

[7] Le nombre des recensés étant près de trois fois plus important que celui des naissances, les valeurs françaises sont élevées par indexation de la plus grande (Morbihan) sur celle de Grande-Bretagne (Carmarthenshire). Les 20 variantes employées pour la France sont par ordre décroissant de valeur brute : Daniel, Deniel, Danielou, Dano, Denieul, Denniel, Danilo, Danigo, Denion, Danielo, Danic, Daniele, Deniard, Daniou, Dennielou, Danioux, Danilet, Danielli, Denieulle et Danieli.

[8] Llanelli 87 naissances (près de Swansea), Abergwili 37 (contigu à Carmarthen), Pembrey 35 (ouest de Llanelli), Llanegwad 34, Llangyndeyrn 26 (sud-est de Carmarthen), Llangunnor 24 (contigu à Abergwili) et Llan-non 19 (nord de Llanelli).

[9] Fréquenté par David, saint patron du pays de Galles (†601), Pol de Léon (†594), Samson (†565), et Tugdual (†564), qui font partie des Sept saints fondateurs de la Bretagne, saint Patrick (†641), le moine et historien Gildas le Sage (†565), le roi Maelgwn de Gwynedd (†582)…

[10] Selon John Morris, Deiniol ne serait allé au nord-ouest pour fonder l’abbaye du grand Bangor qu’après la mort de Maelgwyn, roi du Gwynedd, vers 550 ou 582. The Age of Arthur, a History of the British Isles from 350 to 650, vol.3, J.Morris, Phillimore & Co, 1977, p.370. Les opinions divergent aussi sur la date d’érection de l’abbaye de Bangor en cathédrale (545, 546 ou 550), sur celle de la mort de Deiniol (554, 572 ou 584 selon Nennius) et sur celui qui l’a consacré évêque, saint David, Teilo ou saint Dyfrig (Dubricius) évêque de Ergyng. Quelles que soient ces incertitudes, ce qui importe ici est qu’un Daniel vivait dans cette région au début du VIe siècle. Sources : www.britannia.com/celtic/wales/, John Williams James (1889-1983), chancellor of Bangor cathedral, in Dictionnary of Welsh Biography : yba.llgc.org.uk/en/s-DEIN-IOL-0584.html British History Online : www.british-history.ac.uk/report.aspx?compid=47798

[11] Démétie ou Demetia du nom du peuple celte Demetae. Ancien nom de la région sud-ouest divisée en 1284 en deux comtés, Carmarthenshire et Pembrokeshire, regroupés en 1996 dans l’actuel Dyfed.

[11b] Selon Albert Deshayes, ce nom en Bretagne tire bien son origine du pays de Galles : « Daniel, saint breton dont le nom correspond à Deiniol, saint gallois du VIe siècle et disciple de saint Ildut », in Dictionnaire des noms de famille bretons, Le Chasse-Marée/ArMen, 1995, p.113

[12] The Lives of the British Saints. The Saints of Wales and Cornwall and such Irish Saints as have dedications in Britain, Sabine Baring-Gould, M.A, and John Fisher, B.D., London, 1908, Vol. II, p.331

[13] Les royaumes brittoniques au Très Haut Moyen Age, Christian Y.M. Kerboul, éditions du Pontig, 1997, p.90

[14] The Mammoth Book of British Kings & Queens, Mike Ashley, Robinson London 1999. Tewdrig Gwent and later Glywysing fl.550-c.584, p.125 et table généalogique n°3 p.122

[15] Les royaumes brittoniques au Très Haut Moyen Age, Christian Y.M. Kerboul, pp.73, 117 et 174. Selon d’autres sources, le fondateur du Glamorgan serait Morgan ap Owain (974).

[16] Les origines de la Bretagne, Léon Fleuriot, Editions Payot, 1980, p.190

[17] Histoire de la Bretagne, tome I, Jean Markale, Editions Pygmalion, 2003, p.146

[18] Dans son ouvrage Trédaniel, Histoire et Patrimoine, Bertrand L’Hôtellier prête à Jean-Marie Ricolfis, sans donner de source précise, une citation selon laquelle le nom de la commune de Trédaniel (Côtes-d’Armor) vient « du saint protecteur de l’église locale. (...) Le saint personnage était gallois. Il vécut au VIe siècle, et fut évêque ; il fonda les deux villages de Bangor, d’où son nom de ‘’Daniel Bangors’’. C’est de lui que viennent les ‘’Daniel’’ bretons et non du saint oriental dont il avait emprunté le nom, Daniel le Stylite ». Cette citation pourrait toutefois être controuvée. Interrogé en octobre 2019 sur son origine, l’auteur répond « je doute qu'il y ait quoi que ce soit d'oriental dans l'origine du nom Trédaniel, comme le prétendait M. Ricolfis ».  

Et en effet, si dans les trois volumes de Celtes & Gaulois, son ouvrage principal et le seul dans lequel il évoque la Bretagne, J-M. Ricolfis évoque abondamment les Bretons et les Gallois, il ne fait aucune mention ni du nom Daniel ni du Stylite ni de l’évêque de Bangor. Et une recherche sur internet de segments de la citation ne renvoie à aucun autre auteur.

Recontacté après cette vérification, Bertrand L’Hôtellier n’apporte aucune réponse. Sa source véritable reste inconnue et doit donc être mise sous réserve. Il faut avouer que cette situation affaiblit l’hypothèse proposée dans cette étude car la citation de Ricolfis en a été dès le départ un des piliers.

Trédaniel, Histoire et Patrimoine, Bertrand L’Hôtellier, S.P.C.M. Association Sauvegarde du Patrimoine Culturel du Mené, 2000, p.17

Celtes & Gaulois, la langue (1981) ; Celtes & Gaulois, croyances et cultures (1984), Jean-Marie Ricolfis, (1927-2007), agrégé des Universités, docteur d'Etat ès lettres, spécialiste de la langue et de la culture gauloises, Centre régional de documentation pédagogique de Paris, (473 pages)

[19] Three Byzantine Saints : Contemporary Biographies of St. Daniel the Stylite, St. Theodore of Sykeon and St. John the Almsgiver, 1948, chap.3, cité par N.H.Baynes dans The Life of Daniel the Stylite, Fordham University, Medieval Sourcebook, www.fordham.edu/halsall/basis/dan-stylite.html

[20] Siméon (389-459), initiateur du stylitisme, originaire d’Anatolie et mort au nord d’Alep, a passé 42 ans en haut d’une colonne qui atteindra jusqu’à 16 mètres.

[21] John Williams James (1889-1983), chancellor of Bangor cathedral, in Dictionnary of Welsh Biography : yba.llgc.org.uk/en/s-DEIN-IOL-0584.html

[22] Le British Census 1881 recense 588 Jeremy au pays de Galles sur 692 dans tout le royaume soit un taux record de 85%. Joshua 171 sur 235 (73%), John/Jonas 11.329 sur 20.176 (56%), Esau 38 sur 71 (54%), David 108.403 sur 242.747 (45%), Joseph 944 sur 2.779 (34%), Zachary 21 sur 80 (26%), Isaac 1.336 sur 7.180 (19%), Gabriel 153 sur 839 (18%), Daniel 2.638 sur 17.821 (15%), Mathew 5.397 sur 44.616 (12%). Pour les Cornwall, Devon, Dorset, Gloucestershire, Somerset et Wiltshire : Job 496 sur 1.632 (30%), Eve 484 sur 1.810 (27%), Paul 2.264 sur 8.852 (26%), Luke 698 sur 3.020 (23%), Isaac 1504 (21%), Mark 1.972 sur 9.496 (21%), John 4.116 (20%), Mathew 7.135 (16%), Esau 11 (15%), Simon 5.808 sur 38.946 (15%), Salomon/Solomon 512 sur 3.627 (14%), Joel 174 sur 1.267 (14%), Gabriel 114 (14%), Daniel 2.211 (12%), Moses (Moïse) 379 sur 3.319 (11%), Jacob 1.097 sur 9.760 (11%), Adam 5.578 sur 50.209 (11%).

[23] The Development of Christian Society in Early England, Tim Bond, 1998. Le lien d’origine n’est plus valide www.britannia.com/church/bond1.html ; une copie de l’article est accessible ici : https://drive.google.com/file/d/1DwVNFn0_JAQ92EuNjO5wFuG9Ybm7Wbio/view?usp=sharing

[24] The Mystery of the Cross: Bringing Ancient Christian Images to Life, Judith Couchman, University of Colorado, IVP Books, 2009, p.177

[25] The Age of Arthur, a History of the British Isles from 350 to 650, vol. 3, John Morris, Phillimore & Co, 1977, p.337. Dans une lettre de 386-389, sainte Paula écrit à propos de Jérusalem : « Les Bretons, bien que séparés du reste du continent, tournent le dos au soleil couchant, et partent à la recherche d'une région dont ils ne connaissent rien sauf par ouï-dire et par le récit biblique. » La même lettre est attribuée à Jérôme, Epist. xiii., dans Celtic Britain and the Pilgrim Movement, G. Hartwell Jones, M.A., D.D., London, 1912, p.82. A la même époque, saint Jérôme de Stridon (340-420) ajoute dans ses épîtres : « les portes du ciel sont tout aussi largement ouvertes aux Bretons dans leur patrie, qu’à ceux qui viendront à Jérusalem. », in Le voyage en Terre Sainte, Jean-Claude Simœn, Impact Livre, 2000, p.17

[26] Excavations at Tintagel Castle, Cornwall, 1990-1999, University of Glasgow http://eprints.gla.ac.uk/49945/

[27] Celtic Britain, Charles Thomas, Thames & Hudson Ltd, 1997, p.59

[28] La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, André Chédeville, éditions Ouest-France Université, 1984, p.176

[29] Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, Noël-Yves Tonnerre, 1994, Presses de l’Université d’Angers, p.155

[30] site de la commune d’Abbaretz : www.abbaretz.fr/?Patrimoine

[31] Les versets 6 à 31 de cette gwerz sont très proches des versets 9 à 26 de la sourate 18 du Coran. Le pèlerinage islamo-chrétien du Vieux-Marché, Laurent Girard, 1998, http://esteurop.free.fr/artic10/islamo10.html

[32] Celtic Britain, Charles Thomas, Thames & Hudson Ltd, 1997, pp.60 et 142

[33] Early Christian Cemetery and Chapel on Ardwall Isle, Kirkcudbright, Charles Thomas, University of Leicester, 1967, p.168

[34] 0,046% de la population en Vénétie (2001), 0,19% dans le Morbihan (1891-1915), 0,17% au pays de Galles (1881), 0,46% dans le Carmarthenshire (1881)

[35] 14 formes présentées : Daniel (3.031), Deniel, Denniel, Deniele (764), Danielou, Dannielou, Daniellou (453), Denieul, Denieule (181), Danielo 82, Danic (59), Denie (59), Denieulle (25) et Daniaux (17). L’emploi de données brutes aboutit à la surreprésentation des agglomérations urbaines et rend impossible la localisation de berceaux du nom. Seule une carte des occurrences en % de la population peut éventuellement mener à des conclusions. Les taux très élevés dans certaines communes ne sont dus qu’à leur faible population ce qui fausse l’examen. Ainsi Saint-Séglin en Ille-et-Vilaine donne un taux record de 244,5/10.000 (10 lignes téléphoniques attribuées à des Daniel pour 409 habitants), tout comme Saint-Fiacre dans les Côtes-d’Armor (144,9/10.000 ; 3 pour 207 hab.) alors que la moyenne est de seulement 20/10.000. Pour corriger ce biais, la valeur des 2% de communes les moins peuplées (21 communes de 257 habitants + Saint-Séglin) a été ramené à la valeur moyenne de l’ensemble des 1.031 communes où le nom est présent, ce qui donne une palette de valeurs plus homogène et plus parlante. Sur cette carte le taux le plus élevé est rencontré à Plonéour-Lanvern dans le Finistère : 168.4/10.000 (28 lignes Daniel pour 1.668 habitants).

[36] Les avis divergent sur le nombre des Bretons qui ont colonisé l'Armorique. De 35.000 à 50.000 selon les auteurs de Des mégalithes aux cathédrales (collectif, éditions Skol Vreizh, 1983, p.128), de 100.000 à 150.000 selon Joël Cornette dans Histoire de la Bretagne et des Bretons, Tome I, Editions du Seuil, 2005, p.143

[37] La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, André Chédeville, éditions Ouest-France Université, 1984, p.24, qui s’appuie sur Settlements of the cellic saints in Wales, Emrys G. Bowen, professeur de géographie et d'anthropologie au University College of Wales, Aberystwyth (Ceredigion), University Press of Wales, 1954, p.175

[38] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, p.42

[39] Les noms de lieux celtiques, François Falc’hun avec la collaboration de Bernard Tanguy, Editions armoricaines, 1970, p.84

[40] Les pays de la Basse Vilaine au haut Moyen Âge, Noël-Yves Tonnerre, in Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, Tome LXIII, 1986, p.60

[41] Atlas d’Histoire de Bretagne, Skol Vreizh, 2002, p.47

[42] Côtes-d’Armor 157 toponymes (40%), Morbihan 85 (22%), Finistère 58 (15%), Ille-et-Vilaine 57 (14%) et Loire-Atlantique 36 (9%).

[43] base IGN (2000) et Le parcellaire breton, Institut culturel de Bretagne (fichier de 1974). Dans le Morbihan, deux toponymes du VIe siècle, intéressants à première vue, Trédano à Sérent et Pouldano à Berric, n’ont pas été retenus car, selon Albert Deshayes (Dictionnaire des noms de lieux bretons, p.431), ils ont pour racine Tanou, du breton Tan, feu. Les Kerdaniou et Kerdanio qui ont, selon lui, la même origine ont également été écartés, soit 3 dans les Côtes-d’Armor et 6 dans le Finistère. Le même auteur présente pourtant les Kerdaniou de Plonevez-du-Faou (29) et Hengoat (22) et le Daniou de Bégard (22) comme construits sur Daniel. La toponymie n’est pas une science exacte et on peut aussi se demander pourquoi Deshayes considère les Kerdano et Kerdanno sans rapport avec ce nom alors que dans son Dictionnaire des noms de famille bretons p.114, les patronymes Dano et Danno en sont bien des variantes. De même, comme vu plus haut, les formes Denoual et Denouel, sujettes à caution, n’ont pas été incluses, soit 12 toponymes (dont 11 parcelles) : 4 dans les Côtes-d’Armor, 8 en Ille-et-Vilaine et 1 dans le Morbihan. Par prudence, nous avons cartographié à minima en écartant les formes non avérées. Retenir Trédano et Pouldano aurait pourtant modifié les conclusions en démontrant l’installation de Daniel dans le Vannetais dès le VIe siècle. Retenir les Denoual et Denouel en revanche n’aurait rien changé puisque aucun ne se trouve en basse Vilaine.

[44] Bernard Tanguy, in Cartulaire de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, Amis des Archives historiques du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo, HID, 1998, p.58.

[45] Ce couloir breton est largement décrit par Erwan Vallerie dans Communes bretonnes et paroisses d’Armorique, Editions Beltan, 1986, p.213

[46] Ce cartulaire comprend 391 actes en latin – détaillant des donations, achats, règlements de litiges... qui ont marqué le Vannetais et l'Abbaye de Redon (fondée en 832) à la limite des zones bretonnes et franques – de la fin du VIIIe siècle à la mi-XIIe.

[47] Charmes secrets des Pays de Vilaines, Jean-Bernard Vighetti, Editions des Paludiers, 1984, p.18

[48] N-Y. Tonnerre assimile Pierric à la plebs Cornou mentionnée dans le cartulaire de Redon qui serait une mauvaise graphie du breton karn ou carnou (pierre), à rapprocher de Carnac. Il ne faut sans doute alors pas y voir de lien avec la tribu des Cornovii du Cornwall. Les pays de la Basse Vilaine au haut Moyen Âge, Mémoires de la Soc. d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, T.63, 1986, p.68

[49] L’identité bretonne, l’origine des noms de personnes, Jean-Marie Plonéis, Editions du Félin, 1996, p.186

[50] fol. 101 verso, l.19

[51] fol. 169 verso, l.3 et fol 170, l.3

[52] fol. 185, l.20-21

[53] fol. 133, l.10

[54] fol. 82, l.23

[55] fol. 137 verso, l.6

[56] fol. 138, l.16

[57] Les noms racontent la Bretagne, Michel Priziac, Ki-Dour Editions, 1999, p.90

[58] Le Grand-Fougeray au fil de l’histoire, Jacques et Jean-Jacques Blain, Cercle Histoire et Généalogie du Grand-Fougeray, tome I, 1995, p.52, parle d’une « origine post-médiévale »

[59] Les noms de lieux celtiques, François Falc’hun avec la collaboration de Bernard Tanguy, Editions armoricaines, 1970, p.159

[60] Les pays de la Basse Vilaine au haut Moyen Âge, Noël-Yves Tonnerre, in Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, Tome LXIII, 1986, p.49

[61] Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, Noël-Yves Tonnerre, Presses de l’Université d’Angers, 1994, p.66

[62] Les pays de la Basse Vilaine au haut Moyen Âge, N-Y. Tonnerre, p.72

[63] Les noms de lieux bretons de Haute-Bretagne, Jean-Yves Le Moing, Editions Coop Breizh, 1990, p.317

[64] Le pays de Redon sous les rois bretons, J-M.Dupont, in Recherches en Pays de Vilaine, Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, tome I, 1982, p.7

[65] The Age of Arthur, vol. 3, John Morris, Phillimore & Co Ltd, 1977, pp.363 et 511

[66] Les pays de la Basse Vilaine au haut Moyen Âge, Noël-Yves Tonnerre, in Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, Tome LXIII, 1986, pp.63-64

[67] Fougeray devient Le Grand-Fougeray en 1847

[68] Des étrangers pas comme les autres : les juifs en Bretagne au Moyen Âge, Jean-Christophe Cassard, 2011, in Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne vol. 89, p.208. L’auteur poursuit : « Ce phénomène en évoque un autre, encore plus accentué, la grande pauvreté onomastique galloise, fondée, elle, toutefois, sur l’imposition de noms tirés du Nouveau Testament. » Cela concerne en partie le nord du pays, mais le recensement britannique de 1881 montre au contraire une très forte présence de noms tirés de l’Ancien Testament au pays de Galles, en particulier au sud. (voir partie IV)  

[68b] Bernard Merdrignac reprend pourtant à son compte la formule de Georges Duby, parlant de l’histoire qui se construit « en superposant des hypothèses. Sur le modèle initial, une autre allait s’emboîter puis une autre. (…) Le discours de l’historien n’est jamais qu’une approximation où s’exprime la réaction libre d’une personne devant les vestiges éparpillés du passé. » in D’une Bretagne à l’autre. Les migrations bretonnes entre histoire et légendes, Bernard Merdrignac, PUR, 2012, p.18, citant L'Histoire continue, Georges Duby, Ed. Odile Jacob, 1992, p.79

[69] La liste est longue des publications datant les Plou- et Tré- du haut Moyen Âge :

« Nées de l’immigration des Ve, VI et VIIe siècles et propres à la péninsule, les paroisses bretonnes primitives se reconnaissent aujourd’hui à leurs noms en Plou- (…) ou occasionnellement en Gui(k)- (…), on peut aujourd’hui dénombrer dans la péninsule quelque 179 paroisses primitives. » Atlas d’Histoire de Bretagne, Bernard Tanguy, Editions Skol Vreizh, 2002, p.58

« Plé-, Pleu-, Plo-, Plou-, Plu-. De ce côté de la Manche, ce type désigne des paroisses anciennes fondées entre le Ve et le VIIe. » (…) Les Tré- sont de formation « sûrement antérieure au Xe siècle. » Noms de famille bretons d'origine toponymique, Francis Gourvil, Société archéologique du Finistère, 1970 (réédition 1993). Introduction, § 56 p.XXV et § 84 p.XXVI

« l’indice le plus sûr du peuplement breton, ce sont les noms de paroisses en Plou-, unanimement reconnus comme révélant en Bretagne une organisation paroissiale d’origine insulaire. » Les noms de lieux celtiques, François Falc’hun avec la collaboration de Bernard Tanguy, Editions armoricaines, 1970, p.57

Plou « est bien un emprunt au latin ecclésiastique Plebs, plebem, mais les mots correspondants : gallois Plwyf, et cornique Plu, attestent que l’emprunt s’est fait en Grande-Bretagne, et que le mot Plou a bien été introduit en Bretagne par les Bretons. » Les divisions territoriales de Basse-Bretagne comparées à celles des contrées celtiques d'outre-mer, Pierre Flatrès, in Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1956, 63-1, p.11

[70] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, p.208, qui soutient même pour certains une création organisée par l’autorité romaine, soit au plus tard au Ve siècle. Les Tre- sont « un indicateur précieux de la colonisation insulaire. (…) Tre ou treb apparaît dans la Bretagne du haut Moyen Age, en Cornouaille britannique et au pays de Galles » (p.42), d’où l’ancienneté présumée de Trédaniel (Côtes-d'Armor).

[71] Histoire de la Bretagne et des Bretons 1, Joël Cornette, Editions du Seuil, 2005, p.135

[72] Plebs Uuin-Monid (852) devenu Guémené-Penfao ne serait pas une paroisse primitive mais tout de même issue du démembrement des primitives Massérac et Plessé. Communes bretonnes et paroisses d’Armorique, Erwan Vallerie, Editions Beltan, 1986, p.232

[73] Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes-d'Armor, Bernard Tanguy, Éditions Chasse-Marée-Ar Men, 1990

[74] Trédaniel, Histoire et Patrimoine, Bertrand L’Hôtellier, Association Sauvegarde du Patrimoine Culturel du Mené, 2000, p.17

[75] En réponse à une question sur cette étude dans le forum La Bretagne au Moyen Âge, juillet 2009. Bernard Merdrignac, (1947-2013) professeur émérite d’histoire médiévale à l’université Rennes 2 Haute Bretagne. Thèse Recherches sur l’hagiographie armoricaine du VIIe au XVe siècle (1982) sous la direction d’A.Chédeville. B.Merdrignac est pourtant bon connaisseur du travail de Charles Thomas dont il cite trois ouvrages dans son D’une Bretagne à l’autre.

[76] Antony Charles Thomas (1928-2016), historien et archéologue, professeur d’études cornouaillaises à l’université d’Exeter et premier directeur de l’Institute of Cornish Studies.

[77] Origine et histoire des Bigoudens, Jakez Cornou et Pierre-Roland Giot, Ed. Le Signor, 1977, p.84

[78] Arthur, Alban Gautier, Ellipses, 2007, p.168. Normalien, agrégé et docteur en histoire, maître de conférence à l'Université du Littoral Côte d'Opale

[79] Bede’s world ; early christianity in the British isles, John Nankivell, directeur du Joseph Chamberlain College, Birmingham, 2009. Auteur de Saint Wilfrid, SPCK Publishing, 2002.

[80] The Jews of South-West England, thèse de doctorat du rabbin Bernard Susser, University of Exeter, 1977, P.1, citant Roman Britain, Shimon Applebaum, University of Tel Aviv, 1972, p.190

[81] Celtic Britain and the Pilgrim Movement, Rev. Griffith Hartwell Jones, M.A., D.D., London, 1912, p.95, qui signale aussi, p.85, la présence de moines pèlerins bretons aux îles de Lérins, au large de Cannes, où un monastère est fondé par Honorat d'Arles, v. 400-410, et où saint Patrick (383-461) étudie avant d'évangéliser l'Irlande en 423.

[82] Old Testament Personal Names among the Britons: Their Occurrence and Significance before the Twelfth Century, John Reuben Davies, University of Glasgow, 2009, p.3

[83] Ancienne région située au nord des actuels comtés de Conwy et Denbighshire.

[84] Complete Book of Names. For Pagans, Witches, Wiccans, Druids, Heathens, Mages, Shamans and Independent Thinkers of All Sorts Who are Curious About Names from Every Place and Every Time, de Kay M. Sheard, Llewellyn Publications, U.S., 2012, p.171

[85] Selon Baring-Gould « Dewi signifie Dewidd (…). La perte du dd final est plutôt un trait du dialecte du Pembrokeshire. S. David était un homme du Pembrokeshire jusqu’à son nom. » Ce qu’on peut interpréter de deux façons : Dewi aurait été d’autant plus facilement assimilé à David que sa forme originelle en était plus proche, ou au contraire que Dewidd dérive du nom biblique. The Lives of the British Saints. The Saints of Wales and Cornwall…, Sabine Baring-Gould & John Fisher, London, 1908, Vol. II, p.292. L’idée d’un Dewi dérivé de Dewidd supposément forme ancienne de Dafydd la forme galloise de David est catégoriquement réfutée par Kay M. Sheard. Peut-être a-t-elle raison mais l'argument qu'elle emploie pour le dire est surprenant : « le simple fait est, les noms bibliques n’étaient pas usités dans la Bretagne post-romaine » (op. cit., p.171), soit aux Ve-VIe siècles. Les noms des saints patrons et de certains évêques gallois indiquent en effet le contraire, sauf à considérer qu’il s’agit uniquement de noms de clergie et donc absents dans la population.

[86] Le père de Deiniol est le roi Dynod Fawr assimilé à Dinoot de Bancornaburg, premier abbé du monastère fondé en 560 à Bangor-on-Dee, dans le Wrexham au nord-est du pays de Galles, présent au second synode réunit par Augustin de Canterbury en 603. On le retrouve au haut Moyen Âge sous les formes Dunawd, Dunawt, Dunaud, Dunod. La ressemblance entre Dynod et Deiniol fait s’interroger sur une éventuelle assimilation du même type par paronymie. Toutefois aucune source n’évoque cette possibilité.

[87] Selon David Howlett, le nom de Gildas pourrait même venir de l’hébreu geledh (peau), apparenté à l’araméen gildā. Le mot est dans la Bible hébraïque (Job 16.15). More Israelite Learning in Insular Latin, Peritia 13, 1999, p.136, (cité par J.R. Davies, p.13)

[88] Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée, (324), Livre 8, c. 11, 12, p.346, Ed. Vales.

[89] L'anthroponymie bretonne. Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne, André Chédeville, Université de Tours, 1992, pp.14-15

[90] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, pp.382

[91] Marc est surtout présent dans le Finistère où une confusion est toutefois possible avec le mot breton march (cheval).

[92] Les appellatifs ethniques dans l’anthroponymie de la Basse-Bretagne, Jean Le Dû, in Hommes et Terres du Nord, Campagnes et littoraux d’Europe. Société des géographes de Lille, 1988, §4 Le Saux et ses variantes, p.70,

[93] Anthroponyms as Markers of Celticity in Brittany, Cornwall and Wales, Gary German, Université de Bretagne Occidentale, Brest, in The Celtic Englishes IV, The Interface between English and the Celtic Languages, Universitatsverlag Potsdam, 2004, pp.43, 47-48.

[94] Academic co-operation between Aberystwyth and Brest, communiqué de l’Agence Bretagne Presse citant Gary German, 25 janvier 2009

[95] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, André Chédeville, Ouest-France Université, 1987, p.230

[96] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.63

[97] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.67

[98] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, André Chédeville, Ouest-France Université, 1987, p.231

[99] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, André Chédeville, Ouest-France Université, 1987, p.230

[100] Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Hervé Martin, 1982-1997, pp.59 et 62

[101] Les chanoines augustins en Bretagne au xiie siècle : des proto-mendiants ? André Chédeville in Religion et mentalités au Moyen Âge, Presses universitaires de Rennes, 2003, p.133-144

[102] Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Hervé Martin, 1982-1997, p.63

[103] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.77, qui cite H.Martin

[104] Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Hervé Martin, 1982-1997, p.67

[105] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, pp.83-84

[106] Histoire religieuse de la Bretagne, Georges Minois, Editions Jean-Paul Gisserot, 1991, p.37

[107] On peut distinguer trois étapes dans la mise en oeuvre de la réforme grégorienne : elle est entamée en 1059 par Nicolas II qui décide que seuls les cardinaux élisent le pape et interdit le nicolaïsme et la simonie ; affirmée en 1075 par Grégoire VII qui interdit à tout laïc d'investir un ecclésiastique ; achevée avec Innocent III par le concile de Latran IV de 1215 qui fonde l’ordre des Prêcheurs (dominicains).

[108] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.59

[109] La Renaissance du xiie siècle, Jacques Verger, Le Cerf, coll. Initiations au Moyen Âge, 1996, pp.60-64

[110] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.62       

[111] Histoire religieuse de la Bretagne, Guy Devailly, Editions C.L.D., 1980, p.73

[112] Histoire religieuse de la Bretagne, Georges Minois, Editions Jean-Paul Gisserot, 1991, p.38

[113] Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Jean Chélini, Hachette Littératures, 1991, pp.336-337. Cette typologie est d’ailleurs en concurrence à la même époque avec une autre division mieux connue et inspirée de la réalité sociale : les sages, qui prient (oratores), les guerriers (bellatores), et les producteurs, paysans (agricultores). A ces derniers s’ajouteront au XIIe siècle les commerçants formant ainsi l’ordre plus général des travailleurs (laboratores). Les trois noms se retrouvent associés dans le livre d’Ézéchiel (14:12) : « Fils de l'homme, lorsqu'un pays pécherait contre moi en se livrant à l'infidélité, et que j'étendrais ma main sur lui, si je brisais pour lui le bâton du pain, si je lui envoyais la famine, si j'en exterminais les hommes et les bêtes, et qu'il y eût au milieu de lui ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, ils sauveraient leur âme par leur justice, dit le Seigneur, l'Eternel. » Selon la bible des moines de Maredsous (1968), il ne s’agit pas ici du prophète Daniel, plus jeune qu’Ézéchiel, mais de Danel, héros d’un poème phénicien. Toutefois, la plupart des autres bibles orthographient ce personnage Daniel et non Danel.

[114] Vivre en société au Moyen Âge. Occident chrétien VIe-XVe siècle, Daniel Le Blévec, Presses de l'Université de Provence, 2008, p.96

[115] Old Testament Personal Names among the Britons: Their Occurrence and Significance before the Twelfth Century, John Reuben Davies, 2009, University of Glasgow, p.4

[116] Dictionnaire des prénoms d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, Alain de Benoist, Editions Jean Picollec, 2009, p.18. Charlotte Mary Yonge va dans le même sens : « Il semble que ce soit la dévotion des croisés qui ait amené Maria en Europe, car nous en trouvons les premiers exemples vers le milieu du XIIe siècle. » History of Christian names, §78 Noms israélites, 1863. Mais le nom était déjà présent bien avant en Angleterre où le roi Edgar le Pacifique avait déjà dédié une chapelle à la Vierge Marie en 973 comme l’indique Trefor Rendall Davies dans A Book Of Welsh Names, 1952.

[117] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, Noël-Yves Tonnerre, Ouest-France Université, 1987, p.81

[118] A l'aube de la première croisade : le face-à-face des chrétiens et des musulmans, Robert Mantran, in Le concile de Clermont de 1095 et l'appel à la croisade, actes du colloque universitaire international de Clermont-Ferrand (juin 1995), éditions de l'École Française de Rome, 1997, p.341

[119] L’ouvrage de l’archevêque de Dol (1107-1120) est l’Histoire de Jérusalem, récit de la Première croisade fondé en partie sur le témoignage de témoins directs et soumis pour correction à l'abbé Pierre de Maillezais qui avait accompagné les croisés.

[120] Les Bretons et les croisades, Michael Jones. Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, tome 71, La Société d'Histoire et d'Archéologie, 1994, pp.369-370

[121] Histoire religieuse de la Bretagne, Georges Minois, Editions Jean-Paul Gisserot, 1991, p.42

[122] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, Noël-Yves Tonnerre, Ouest-France Université, 1987, pp.79-81

[123] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, N-Y. Tonnerre, p.81

[124] Les Bretons et les croisades, M.Jones, p.370

[125] Les Bretons et la mer au Moyen Âge, Jean-Christophe Cassard, Presses Universitaires de Rennes, 1998, p.164

[126] Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Hervé Martin, 1982-1997, p.94

[127] Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, Hervé Martin, 1982-1997, p.68

[128] Michael Jones indique que si « les croisés bretons n’étaient pas rares (…) on ne connaît qu’une poignée de noms bretons parmi les croisés ». (pp.368 et 370). Bien qu’expurgée d’une quarantaine de faux croisés déclarés frauduleusement au XIXe siècle par le cabinet Courtois, il est très possible que cette liste de 121 noms, établie à partir de diverses sources, en contienne encore trop.

[129] A situation nouvelle nom nouveau. Les doubles appellations dans l’Histoire Ecclésiastique d’Orderic Vital et la christianisation des noms de baptême aux 11e et 12e siècles, Pierre Yves Quémener, 2013, p.43, qui indique aussi que le parrainage est devenu au XIIe siècle le lieu essentiel de la dévolution des noms.

[130] La structure familiale des Craon du XIe siècle à 1415 : le concept lignager en question, Fabrice Lachaud, thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2012, p.220

[131] La Bretagne féodale XIe-XIIIe siècle, Noël-Yves Tonnerre, Ouest-France Université, 1987, p.81

[132] L'église et le village, Gabriel Le Bras, Marthe Le Bras-Folain, Flammarion, 1976, sous-chapitre A. Origine matérielle et spirituelle.

[133] Dictionnaire des prénoms d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, Alain de Benoist, Editions Jean Picollec, 2009, pp.120 et 74.

[134] Dictionnaire des noms de famille bretons, Albert Deshayes, Le Chasse-Marée/ArMen, 1995, p.116

[135] Nicolas a trois points communs avec Daniel et David : c’est une personnalité orientale et son nom est à la fois très fortement concentré au pays de Galles sous la forme Nicholas (Pembrokeshire, Carmarthenshire et extrémité du Cornwall), et en France, presque uniquement en Bretagne, de même que Nicol. Les formes rares Nicolic, Nicolo, Nicolazic, Nicolazo et Colazet ne se rencontrent même que dans le Morbihan.

[136] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, p.528

[137] History of Christian names, Charlotte Mary Yonge, §94 Noms israélites, 1863

[138] The Oxford Companion to Family and Local History, David Hey, Oxford University Press, 2010

[139] A History of British Surnames, Richard A. McKinley, Routledge, 1990, p.92

[140] A Saint for Your Name, Albert Nevins, Our Sunday Visitor Inc., U.S, 2000, p.9

[141] Llewellyn's Complete Book of Names. For Pagans, Witches, Wiccans, Druids, Heathens, Mages, Shamans and Independent Thinkers of All Sorts Who are Curious About Names from Every Place and Every Time, Kay M. Sheard, Llewellyn Publications, U.S., 2012, p.10

[142] Des étrangers pas comme les autres : les juifs en Bretagne au Moyen Âge, Jean-Christophe Cassard, 2011, in Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne vol. 89, p.208

[143] Histoire des prénoms en Bretagne. Du Moyen Âge à la Révolution (3e partie), Pierre Yves Quémener, in Kaier Ar Poher, n°30, 30 octobre 2010, pp.12 et 14

[144] Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Jean Chélini, Hachette Littératures, 1991, p.270

[145] Le nom de baptême en Bretagne aux 15e et 16e siècles. Aspects culturels et religieux des processus de prénomination, Pierre Yves Quémener, Université d'Angers, 2019, directeur Michel Nassiet.

[146] A situation nouvelle nom nouveau. Les doubles appellations dans l’Histoire Ecclésiastique d’Orderic Vital et la christianisation des noms de baptême aux 11e et 12e siècles, Pierre Yves Quémener, 2013, p.44

[147] L'anthroponymie bretonne. Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne, André Chédeville, Université de Tours, 1992, pp.14 et 18. Les noms dominants sont ceux portés par plus de 2% des individus.

[148] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, p.402

[149] Dictionnaire des prénoms d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, Alain de Benoist, Editions Jean Picollec, 2009, pp.24 et 275

[150] Old Testament Personal Names among the Britons: Their Occurrence and Significance before the Twelfth Century, John Reuben Davies, University of Glasgow, 2009, p.5

[151] Naissance de la Bretagne, Noël-Yves Tonnerre, Presse de l’Université d’Angers, 1994, p.399

[152] Olliver et Oliver sont peu présents au pays de Galles (respectivement Sussex et Lancashire), de même que les Roland (Lancashire). Les Arthur se trouvent aussi en Ecosse et, de façon surprenante, particulièrement concentrés très au nord dans les îles Shetland.

[153] Galahad, Nascien, and some other Names in the Grail Romances, J. Douglas Bruce, University of Tennessee, in Modern Language Notes vol. 33, n°3, The Johns Hopkins University Press, 1918, pp.130-135

[154] The rise of Welsh hereditary surnames, 1986, Prys Morgan, professeur émérite d'histoire à l’université de Swansea, p.131

[155] Dictionnaire des prénoms d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, Alain de Benoist, Editions Jean Picollec, 2009, p.179

[156] Atlas d’Histoire de Bretagne, Philippe Jarnoux, Editions Skol Vreizh, 2002, p.98

[157] The Surnames of Wales: For Family Historians and Others, John & Sheila Rowlands, 1996, p.88, citant Bartrum, 1981

[158] The rise of Welsh hereditary surnames, 1986, Prys Morgan, de l’université de Swansea, p.133

[159] Rebirth of a Nation: Wales, 1880-1980, Kenneth O. Morgan, Oxford University Press, 1980, p.14

[160] site de la ville de Ammanford (Carmarthenshire), qui se base sur Welsh Family History: A Guide to Research, John & Sheila Rowlands, Genealogical Publishing Company, 2009, dont est tirée la carte, p.168

[161] The Welsh Academy Encyclopedia of Wales, John Davies, Nigel Jenkins, Menna Baines, Peredur I. Lynch, University of Wales Press, Cardiff, 2008, p.838

[162] Sont absents de cette liste Aron présent dans le Morbihan ; Salomon relativement bien représenté en Côtes-d’Armor et Finistère et dont la forme Salmon est très concentrée en Ille-et-Vilaine, Salaün et Saleun dans le Finistère, Salahun dans le Morbihan ; Moses dont les formes Moysan, Moizan, Mouazan, Moison, Mouès sont presque exclusivement bretonnes ; Manuel, présent dans toute la France et particulièrement dans le Finistère ; Joseph car présent dans les sources brittoniques et bien qu’il soit rare en Bretagne où son culte daterait du XVIIe selon Gourvil ; Job qui a donné Jobic, exclusivement breton, surtout présent dans les Côtes-d’Armor. Toutefois, Deshayes indique, dans son Dictionnaire des noms de famille (1995, p.166, qu’il faut rattacher Jobic à Job et non à Joseph) mais le donne comme hypocoristique de Joseph dans son Dictionnaire des noms de lieux (1999, p.457). Le Dictionnaire François-Celtique de 1732 lui propose Joseph comme origine, au contraire de Francis Gourvil et Hervé Abalin. Dauzat ne dit rien sur le sujet.

[163] Sa conférence La naissance du nom de famille du 11e au 15e siècle tenue à Carhaix le 15 avril 2018 au 13e Congrès de l'Union généalogique de la Bretagne historique présente en 12 pages une synthèse limpide de ses arguments. Il m’a aimablement fait profiter de ce document inédit de même que d’extraits de sa thèse également inédite.  

[164] Fin XIIe siècle encore, 1/3 des enfants ne dépassent pas l'âge de cinq ans et au moins 10% meurent dans le mois de leur naissance.

 

 

 

Sommaire

 

I - Le nom en France

 

II - Le nom en Grande-Bretagne                                               

Saint Deiniol (†584), évêque de Bangor                                            

Daniel Drem Rud (†516), comte de Cornouaille armoricaine                 

 

III - Une origine orientale                                                        

Le prophète Daniel

Saint Daniel le Stylite († 489 ou 493)                                           

 

IV - L’introduction au pays de Galles                                      

Les noms bibliques

Le commerce de l'étain                                                                

Le rôle des pèlerins                                                                    

 

V - L’introduction en Armorique                                            

La répartition du nom dans l'Ouest

Les routes de l'émigration                                                            

Le contexte historique                                                                 

Les toponymes construits sur le nom en Armorique                            

Le Vannetais                                                                           

Le pays de Redon

Les événements de 577 et 578                                                      

L'introduction du nom dans la basse Vilaine                                      

 

VI - Résumé de synthèse chronologique                                  

Du proche Orient à l’île de Bretagne

De l’île de Bretagne à l’Armorique                                                 

L’introduction dans le pays de Redon                                                

 

VII - Critiques                                                                         

La cartographie

Les plou-                                                                                 

L’origine orientale                                                                      

Les noms vétérotestamentaires brittoniques au très haut Moyen Âge      

La migration bretonne et la permanence des noms                                

 

VIII - Autres hypothèses                                                        

Les ermites                                                                               

Les nouveaux établissements religieux

Le clergé paroissial                                                                      

Les ordines                                                                               

Pèlerinages et croisades                                                                

Les mystères                                                                             

La réforme baptismale                                                                

Le renouveau celtique des XIe-XIIe siècles                                       

La réforme protestante                                                                

Puritanisme et non-conformisme 

Conclusion

 

 

 

Les cartes de la répartition du nom en France, Grande-Bretagne et dans le grand Ouest ont été réalisées avec le logiciel Cartes & Données v.4 de Articque www.articque.com